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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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conserve éventrées, vieilles chaussures, casques percés, ossements informes.
    Toute une génération a vécu cela, supporté cela. Nous qui les suivons, quand nous écoutons ou lisons de tels récits, nous nous sentons saisis d’angoisse. Nous nous demandons : serions-nous capables, nous, d’endurer de telles apocalypses quotidiennes ?
    Vincent Moulia ne voulait pas s’en faire un titre de gloire. Il préférait parler des autres.
    Et puis il y a les attaques. Les hommes sont là, prêts à bondir. Le lieutenant ou le capitaine a les yeux sur sa montre. Cela s’appelle l’heure H. « En avant ! » On dispose de petites échelles pour sortir de la tranchée. Pas toujours, d’ailleurs. Les cris se répondent de loin en loin : « En avant ! En avant ! » D’en face part un feu roulant. Chacun sait, une fois hors de la tranchée, qu’il va falloir s’exposer à ce feu. Pourtant, ils sortent. Tous. Ils avancent, sans regarder ceux qui tombent dans la boue pour ne plus se relever.
    Comme tant d’autres, Moulia est parti pour Verdun. Un matin, il s’élance à l’assaut avec sept autres. Une explosion. Les sept autres sont tués. Moulia s’en tire, blessé à un bras.
    On le transporte à l’arrière, on le soigne. N’épiloguons pas sur les postes de secours, sur les services sanitaires. Un autre enfer. Il suffit de relire la Vie des martyrs , de Georges Duhamel. Les blessés attendent sans soins pendant parfois des jours entiers. Il arrive que des chirurgiens opèrent pendant vingt-quatre heures d’affilée, à la chaîne. Même eux s’effarent devant les horribles déchirures de certains. On apporte un blessé, les deux mains arrachées :
    — Qu’est-ce que tu fais dans le civil ?
    — Sculpteur.
    Dès que la blessure de Vincent Moulia est refermée, on le renvoie au front, sous Douaumont. Une belle rentrée.
    En novembre 1916, la Somme. En février 1917, le front de l’Aisne. Le 16 avril, Moulia revoit Oulches. Après quoi, son régiment marche sur Craonne. On aurait dit que l’hiver ne voulait pas finir. Un temps abominable. Ce qui tombait, c’était de la pluie mêlée de neige. Ces mois-là, les hommes avaient souffert d’un froid plus cruel encore que celui du premier hiver. Le café et le vin gelaient. On découpait le pain à la hache ou à la scie. Avril était venu et on grelottait toujours.
    C’est alors que le général Nivelle a déclenché sa grande offensive. Le 16 avril, à 6 heures du matin, l’attaque a commencé, la bataille s’est engagée. À 7 heures, la bataille était perdue.
     
    En temps de guerre, les nouvelles courent vite. À Craonne, Moulia et ses camarades ont su tout de suite la vérité. Que les Allemands avaient tenu bon. Que Nivelle était un incapable. Que les résultats de l’offensive ratée étaient épouvantables. Les soldats lancés sur les mitrailleuses ennemies comme à l’abattoir. Le service de santé inexistant, les blessés abandonnés sur le terrain. L’excuse de Nivelle : il n’avait pas prévu de repli.
    On est plutôt amer, dans la tranchée de Moulia, une fois de plus dans la boue, sous la pluie glacée. On étouffe sous les masques à gaz.
    Dans le secteur, on réussit à avancer de trois kilomètres. Il faut dire que ceux qui sont parvenus au but n’étaient pas nombreux. À la nuit, il ne reste plus qu’une poignée d’hommes par section.
    Le 22 avril, Moulia reçoit l’ordre d’aller visiter une tranchée allemande qui n’a pas été nettoyée la veille. Il demande des volontaires. Les gars ne sont pas chauds. Alors, Moulia remplit ses poches de grenades et dit :
    — Tant pis, j’irai seul.
    Les autres le regardent, ils ne bougent pas. Enfin, l’un d’eux se décide. C’est Bachacou, un de Saint-André-de-Seignanx, à quinze kilomètres de Bayonne. Presque un « pays ».
    — Je viens avec toi, caporal.
    Un jeune, à son tour, dit qu’il les accompagnera.
    Tous les trois, ils partent, arrivent sans encombre jusqu’à la tranchée allemande. Apparemment, dans cette tranchée, personne. Moulia, le premier, se laisse glisser dans le boyau ennemi. Bachacou et le jeune le rejoignent. Prudemment, ils avancent. Bientôt, ils se trouvent devant l’entrée d’une casemate, gardée par une sentinelle allemande qui se rend sans difficulté. Il faut dire que Moulia s’est retourné, comme s’il commandait à une troupe nombreuse :
    — Tous, baïonnette au canon ! Par ici !
    L’Allemand, qui parle un peu

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