Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
Vom Netzwerk:
Verdier répète à tout le monde que les journaux allemands ont « parlé contre Notre-Dame de Lourdes ». Il est formel, le bon curé : Jésus ne permet pas qu’on insulte Marie, sa mère. Par voie de conséquence, la Vierge nous donnera la victoire.
    Vincent a rejoint le 18 e régiment d’infanterie de Pau. On reste, jusqu’au 6 août, dans la ville natale d’Henri IV. Le temps d’être habillé. Après quoi, en wagon de marchandises – hommes 40, chevaux 8 –, on gagne en deux jours les forts de l’Est. Le 19, Moulia est à Avesnes. Le 23, il reçoit le baptême du feu, sur la ligne Beignée-Marbaix-Horinchamp. Toute sa vie, Moulia s’en est souvenu et l’a raconté aux siens. On marche, le fusil à la main, le sac sur le dos. Et puis, tout à coup, tac, tac, tac. C’est en face que ça tire. Ça siffle aux oreilles. À côté de vous, il y en a qui tombent. On avance quand même. La première fois, ça produit une drôle d’impression. Pourtant, il fait beau, le 23. Ce qui cause le plus de peine à ces paysans des Landes qui marchent avec Moulia, c’est que les moissons ne sont pas faites. On avance à travers le blé mûr, et ça serre le cœur.
    Le soir, on fait des comptes. Il ne reste pas grand-chose du régiment. « Des pertes terribles », dit le capitaine.
    On entre en Belgique. Dans les villages, on crie : Vive la France ! Sur le passage des soldats, une réflexion cent fois entendue :
    — Comme ils sont petits !
    — Ah ! oui, ce sont des gens du Midi !
    Tout de suite, c’est la bataille de Charleroi. Pour se protéger des « marmites » qui arrivent en sifflant, dégageant une épaisse fumée noire, Moulia et ses camarades creusent des tranchées. Leurs premières tranchées. Il faut les quitter – très vite – pour attaquer. L’ennemi est là, devant. Les éclats d’obus fauchent, tout autour, les copains de Moulia. Il apprend à distinguer les shrapnells, les obus fusants, avec leur fumée jaune. Il apprend que le canon, cela s’appelle « le brutal ». Autour de lui galopent des chevaux tout seuls, dont les cavaliers sont morts.
    La bataille de Charleroi a duré deux jours. Et puis il a fallu battre en retraite, sans un regard pour les cadavres – tant de cadavres – qu’on laissait derrière soi. La compagnie de Moulia marche à l’arrière-garde, au contact direct de l’Allemand. De temps à autre, on s’arrête, on fait face, on tâche d’arrêter l’avance de l’armée du kaiser. Moulia, genou au sol, tiraille de son mieux. Un obus tombe près de lui, le recouvre de terre. Il se relève, s’étonne d’être vivant. Les Allemands chargent. Moulia en voit un qui fonce sur lui, baïonnette en avant. Cette baïonnette, l’Allemand la pointe sur la figure de Moulia. Il lui fend une joue. Ecoutez Vincent Moulia :
    — Mais moi aussi, j’avais ma baïonnette, elle était plus longue que la sienne. Je la lui ai passée en travers du corps. J’ai ramassé le fusil du mort. Le mien était resté au bout de la baïonnette. Je perdais tout mon sang, je voyais plus clair. Alors, j’ai rampé dans les luzernes. J’ai fait moi-même le pansement. Et puis, j’ai rencontré mon capitaine. Il était grièvement blessé. Je l’ai chargé sur mes épaules, je l’ai emmené en arrière.
    C’est la première action d’éclat de Vincent Moulia. Pour avoir sauvé son capitaine, on le fait caporal. Après quoi, on l’évacué sur l’hôpital de Saint-Brieuc. De son galon de laine il n’est pas peu fier.
     
    Il est à la bataille de la Marne. Il marche, il tire, il tue, il marche encore, il tue encore. Il se souvient de ce Prussien qu’il a vu avancer en rampant, alors que lui-même était abrité derrière une touffe de trèfle :
    — Il me voyait pas, mais je voyais son casque à pointe. « Montre-moi ta frimousse, animal ! » Et comme pour me faire plaisir, il lève son buste. La balle au cœur l’a étendu par terre avec un hurlement affreux.
    Quand, le 25 septembre, le 18 e R.I. est relevé, il ne compte plus que cinq cents hommes. Le régiment va être reformé à Beaurieux. Pour le porter à quinze cents hommes, il faudra deux fois plus de bleus que d’anciens. Leur baptême du feu se fera dans les tranchées d’Oulches et sur le plateau de Vauclerc.
    On l’a gagnée, cette bataille de la Marne.
    Moulia arrive juste à temps pour l’attaque la plus meurtrière qu’il ait jamais vue. Sept de ses officiers restent sur le terrain.

Weitere Kostenlose Bücher