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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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soldat qui ne sache ce que cela veut dire : le régiment va attaquer. Or le 120 e R.I. était descendu des lignes deux jours avant le 128 e . Il restait, lui, au repos, et le 128 e remettait ça !
    En un instant, les protestations fusent, les hommes rompent les rangs. On entend :
    — Quoi qu’il arrive, nous ne monterons pas ! Nous ne pouvons pas. C’est une impossibilité matérielle !
    — Les généraux sont des incapables ! Ils se débrouillent pour obtenir des honneurs, mais quand il s’agit d’organiser la victoire qu’ils promettent sans cesse, il n’y a plus personne !
    — Regardez les Russes ! Ils sont moins lâches que nous ! Ils ont arrêté les frais ! Quant à nous, nous nous laissons conduire à l’abattoir par Nivelle et les autres ! On nous trahit et nous ne résistons même pas !
    Breton, le Parisien, l’instituteur, crie en regardant bien en face le commandant Alaret :
    — Il faut à tout prix faire la paix ! Continuer à se battre dans ces conditions est une folie ! Nos chefs sont tous des incapables ! Ils n’aboutiront jamais à rien ! Nous constituons une armée républicaine et nous entendons demeurer républicains.
    Effarés, les officiers. On avertit le général de Cadoudal qui, à 20 heures, s’adresse aux hommes en rang. Il mêle habilement exhortations et menaces. Peu après son départ, le 128 e retrouve son calme. Le régiment va s’ébranler en bon ordre en direction du front, mais un groupe d’hommes refuse de marcher : cinquante-cinq environ. Ils passent la nuit sous la surveillance de gendarmes. Au matin – la nuit porte conseil – ils se résignent à rejoindre leur régiment. La mutinerie avorte. Ce qui est grave, c’est qu’elle ait pu commencer  (21) .
    Or ailleurs on signale, dit le lieutenant-colonel Henri Carré, « des refus d’obéissance, des actes d’indiscipline collective avec manifestations bruyantes, cris séditieux et chant de l’Internationale  ». Un général de brigade qui tente d’apaiser une émeute est hué, « houspillé, bousculé, entouré et menacé. Les étoiles de ses manches sont arrachées, le fanion de sa voiture mis en loques ».
    À la veille de remonter en ligne, des éléments des 109 e , 111 e , 258 e et 298 e R.I. manifestent avec violence. Les hommes se forment en cortège, chantent l’Internationale , crient :
    — On ne marchera pas ! Permission ! Permission !
    On croise un médecin militaire dont la dureté est connue ; on l’entoure, on l’insulte, on le frappe. Trois gendarmes essaient de le dégager, revolver au poing. Ils sont maîtrisés, assommés, traînés au pied d’un arbre et pendus .
    Quand on consulte les chiffres, on reste effaré. Jusqu’au 10 juin, sept ou huit cas graves d’indiscipline collective sont signalés chaque jour. Cent dix corps, appartenant à cinquante-quatre divisions, ont été touchés. C’est-à-dire, plus de la moitié de l’armée française .
    La situation se révélait si grave que Paul Painlevé allait déclarer qu’entre le front et Paris « il ne restait plus que deux divisions sur lesquelles on pût absolument compter si les Allemands prononçaient une attaque de quelque envergure ».
     
    Au milieu de cette tempête, comment le 18 e R.I., le régiment de Vincent Moulia, aurait-il pu rester à l’écart du mouvement ?
    À Craonne, le 18 e R.I. a perdu 20 officiers et 824 hommes. Il a reçu 600 citations. Il a été cité à l’ordre de l’armée et on va lui décerner la fourragère. Les survivants, à bout de forces physiques et morales, ont été mis au repos. Le gros du régiment cantonne à Villers-sur-Fère. La 5 e compagnie – ce qu’il en reste –, celle de Moulia, a été envoyée à Maizy, un petit village au bord de l’Aisne, à une quinzaine de kilomètres en arrière de Craonne et du Chemin des Dames.
    Je suis allé à Maizy. Le village n’a pas beaucoup changé. Il s’allonge de part et d’autre d’une rue principale. Deux files de maisons d’un étage, claires et propres. Une place qui s’étend jusqu’au canal latéral de l’Aisne. Un café où l’on m’a reçu. Même les jeunes se souviennent de la « Grande Guerre ». J’ai rencontré Mme Duchainay et son frère. Ils étaient enfants, en ce temps-là. Mais ils se souvenaient. De tout.
    Avant de parler avec Mme Duchainay, j’imaginais que les combattants au repos trouvaient à l’arrière des cantonnements hospitaliers, des chambrées à peu

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