C'était le XXe siècle T.1
Sénégalais, revenant comme des fous et croyant que c’étaient nos mitrailleuses qui nous tiraient dessus. ( Mouvement .)
Ybarnégaray évoque encore, « dans les tranchées où les Allemands résistaient âprement, une lutte sauvage, boyau par boyau, abri par abri ».
— Et les hommes, en vue de cette marche rapide en avant, n’avaient emporté dans leur musette que quelques grenades vite épuisées !…
Il parle, il parle, le député survivant. Et, sur les bancs de la Chambre, ce qui monte, c’est une immense pitié pour ces hommes sacrifiés inutilement. Ce qui monte, encore, c’est la colère.
Si ces députés, qui réagissent par ouï-dire, sont furieux songeons à ce qu’a pu être l’état d’esprit des combattants, dès qu’ils sont sortis de l’enfer. Ils sont là, entassés dans leurs camions, hagards, littéralement caparaçonnés de boue. Ils traversent Épernay, Château-Thierry. Ils hurlent. Abasourdis, les habitants entendent des cris jamais proférés jusque-là :
— On nous a assassinés !
— Vive la paix !
À Château-Thierry, un officier d’état-major est pris à partie :
— La guerre jusqu’au bout, hein ?
Un soldat crache dans sa direction.
Le climat est créé pour les mutineries. Nous y voilà.
Un certain nombre d’études – je pense notamment à celles du lieutenant-colonel Henri Carré et de John Williams (19) – ont apporté de précieuses informations sur l’origine et le déroulement de cette tragédie. Néanmoins il a fallu attendre le remarquable travail de Guy Pedroncini pour obtenir des précisions incontestables, en fait de dates et de chiffres (20) . Le premier, il a pu travailler dans les archives de la justice militaire restées, de par la loi, inaccessibles pendant cinquante ans.
C’est ainsi que Guy Pedroncini établit que le premier mouvement se produit bien avant la date que l’on fixait jusqu’alors. L’offensive Nivelle est du 16 avril. Et c’est le 16 avril que six hommes du 15 e R.I., 5 e compagnie, abandonnent leur poste devant l’ennemi. Ils sont tous jeunes, de vingt à vingt-trois ans. Le lendemain, 17 avril, à Aubérive, éclate le premier incident collectif, au sein du 108 e R.I. Dix-sept hommes abandonnent leur poste devant l’ennemi et douze sont condamnés à mort. Tous, d’ailleurs, ils seront graciés. Après quoi, plusieurs jours sans incident. Le troisième se situe le 29 avril, à Mourmelon-le-Grand. Deux cents hommes du 20 e R.I. abandonnent leur baraquement et se dispersent dans les bois environnants. Le lendemain, au moment du départ en ligne, la plupart rejoignent spontanément. Un certain nombre persistent dans leur refus de combattre. Capturés, ils seront jugés le 11 juin : quinze condamnations dont six à mort.
En douze jours, on dénombre vingt-six abandons de poste devant les lignes. L’affaire la plus grave se situe le 20 mai au camp de Prouilly, à quinze kilomètres au nord-ouest de Reims. Le 128 e R.I. y est cantonné. Comme tous les autres régiments engagés dans l’offensive, le jour J, à 8 heures, il a foncé, sûr « de reconduire le Boche jusqu’à la frontière belge ». On a dû se replier. Le 6 mai, nouvel assaut. Il était prévu que l’artillerie pratiquerait seize brèches. Une seule a été ouverte. Les poilus sont tombés par rangs entiers, fauchés devant les barbelés par les mitrailleuses ennemies. Ils sont parvenus, malgré tout, à s’infiltrer dans les tranchées allemandes. Ils les ont occupées pendant huit jours, sous un bombardement qui ne cessait pas. Le 15 mai, l’ordre est donné d’évacuer la position. Ceux qui se repliaient ont pu voir les Allemands la réoccuper aussitôt.
Ainsi, tout cela n’avait servi à rien. Tant de morts, tant de blessés, tant de souffrances : pour rien ! Des cris de colère s’élèvent dans les rangs. Un instituteur parisien, le soldat Breton, crie que tout est la faute au haut commandement. Les soldats Jalina, Chanas, Cary, d’autres, demandent sardoniquement s’il vaut la peine de risquer sa peau dans de telles conditions.
Une seule idée peut les consoler, les réconforter : l’espoir d’un cantonnement tranquille, loin du fracas de l’artillerie, où l’on puisse dormir, se laver, manger à sa faim. Or, le 20, l’ordre arrive de remonter en ligne. Bien mieux, à 15 heures, le colonel fait savoir que les hommes ne conserveront qu’un équipement léger et laisseront leurs sacs. Pas un
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