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C'était le XXe siècle T.1

C'était le XXe siècle T.1

Titel: C'était le XXe siècle T.1 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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l’échec de l’offensive Nivelle.
    Depuis trois ans, on a tout demandé aux poilus. Ils ont tout donné. L’année précédente, des millions d’hommes ont été acheminés vers l’enfer de Verdun. Le fils de Guillaume II, le kronprinz, était sûr de percer à Verdun. Les Français ont tenu bon. « On les aura », avait dit Pétain. On les a eus. Mais à quel prix ! Un chiffre résume tout : à Verdun, cette année-là, près d’un million de combattants des deux camps sont tombés. Après quoi, partout à l’ouest, le front s’est enlisé. De nouveau, les hommes se sont enfouis dans leurs tranchées. Des Français ou des Allemands, qui attaqueraient les premiers ? Au printemps, les poilus ont su que ce serait eux. Un nouveau général préparait une offensive. Il s’appelait Nivelle. Cette fois, on allait voir ce qu’on allait voir. Les Boches étaient à bout. On allait entrer dans leurs lignes comme dans du beurre. Ils allaient s’enfuir comme des lapins. Même qu’on aurait sûrement du mal à les rattraper. D’ailleurs, Nivelle l’avait dit : « En quarante-huit heures, tout sera réglé. »
    La fameuse offensive Nivelle allait aboutir au plus lamentable des échecs. Alors, quelque temps plus tard, très peu de temps, commencèrent les mutineries.
    Précisément, c’est pour s’être mutinés que, dans la réserve à betteraves de la ferme Duchainay, à Maizy, cinq hommes attendaient la mort. Cinq hommes, dont le caporal Vincent Moulia.
     
    J’ai rencontré Vincent Moulia. De tous les condamnés pour l’exemple en 1917, il était le seul, à quatre-vingt-onze ans, qui puisse dire : j’étais là. Je suis allé le voir, dans sa minuscule maison de Landré, près de Nassiet, dans les Landes. Il avait bon pied, bon œil, avec ses cheveux encore noirs, sa superbe moustache et son œil malicieux. Il avait un peu perdu la mémoire, mais n’avait oublié aucune des chansons de ses vingt ans : les cantiques que lui enseignait son curé, l’abbé Verdier, et les paroles plus lestes qu’il avait apprises au régiment. Auprès de lui, j’ai rencontré ses enfants et sa femme, Berthe, qui connaissait l’histoire de son mari comme s’il s’agissait de la sienne. J’ai été conduit là par André Curculosse : le premier, il avait recueilli les souvenirs de Vincent Moulia. Surtout, j’ai pu entendre un document infiniment précieux, une bande magnétique d’une durée de huit heures, enregistrée en 1970 par Vincent Moulia à l’instigation de son gendre. À travers ce récit, martelé par le savoureux accent des Landes, c’est d’abord une époque que je revivais, mais aussi une incroyable aventure.
    Le Crapouillot , en août 1934, dans un numéro spécial consacré aux mutineries de 1917, évoqua pour la première fois l’histoire du caporal Moulia. Depuis, plusieurs historiens ont cité son nom, avec des commentaires divers et une exactitude relative. En 1965, deux d’entre eux écrivaient encore que Vincent Moulia – qu’ils appelaient Moulin – avait été fusillé avec ses camarades. En fait, sur ce qu’il était advenu du caporal Moulia, on ne savait rien de très précis. J’ai moi-même ignoré son existence jusqu’au moment, en 1978, où un livre parut : Vincent Moulia, les pelotons du général Pétain , dont l’auteur était Pierre Durand. Pendant de longs mois, celui-ci avait enquêté sur « l’affaire Moulia ». Si j’ai suivi à mon tour l’itinéraire de Vincent Moulia, c’est à Pierre Durand que je le dois  (18) .
     
    Moulia est né à Nassiet, le 25 mai 1888, d’un père inconnu et d’une mère journalière. Une enfance misérable, mais pas malheureuse. Un frère, Joseph. Vincent adore sa mère et il aime bien l’abbé Verdier, le curé de Nassiet, qui veille sur lui plus que sur les autres gamins du village. Parce qu’il n’a pas de père.
    L’école ? Il n’y va, en tout et pour tout, que durant neuf mois, entre huit et neuf ans. Le miracle, c’est qu’il saura quand même lire et écrire.
    Deux ans de service militaire. Guère le temps de souffler, et c’est la guerre. En 1914, il est plongeur à l’hôtel de l’Europe à Dax. Au village, il n’y avait pas beaucoup de travail. Pour gagner sa vie, il fallait aller ailleurs. Un matin, sur les murs de Dax, les petites affiches blanches : mobilisation générale. Moulia part le premier jour.
    Un saut au village pour embrasser sa mère. Elle pleure, la mère Moulia. L’abbé

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