C'était le XXe siècle T.2
février, repassant par Paris, Toukhatchevski rencontre le général Gamelin, chef d’état-major général de l’armée française. Il tente de le persuader, lui aussi. Là encore, il échoue : la politique officielle de la France est la défensive. Informé par les Britanniques des conversations que Toukhatchevski a eues à Londres, Gamelin doit se montrer circonspect. Les Français ne veulent pas s’engager plus loin que leurs alliés d’outre-Manche. Ils ne tireront pas les marrons du feu pour la Russie.
Toukhatchevski rentre en Russie profondément déçu. Là, il commet une erreur capitale. À la réunion suivante du Soviet suprême, il monte à la tribune et met en garde les dirigeants et les citoyens soviétiques contre le risque allemand. Il cite Mein Kampf . Il affirme que « la guerre est devenue inévitable » et que « le plus sage serait de s’y préparer immédiatement ». Pour un Staline qui a donné à Molotov et à Litvinov l’ordre de ménager Hitler, il s’agit d’une véritable provocation. Renforcée, sa méfiance à l’égard des chefs militaires en général et de Toukhatchevski en particulier.
C’est alors que Staline a donné l’ordre de passer à l’action. Que la machination s’est mise en marche. Que Skobline s’est rendu auprès de Heydrich et a dénoncé Toukhatchevski (66) . Que l’on s’est arrangé pour informer les autorités françaises et tchécoslovaques. Il y a fallu des mois mais tout est prêt. La lettre de Beneš, les faux de Heydrich sont sur le bureau de Staline.
Déjà des bruits ont filtré. Toukhatchevski a senti la nasse se refermer lentement autour de lui. Le 20 mars, il rentre de vacances. Le 5 avril, on l’informe qu’il n’ira pas assister au sacre de George VI. Le 12 avril, convoqué par Vorochilov, il apprend qu’il est relevé de ses fonctions de ministre adjoint de la Défense et qu’on l’a muté dans le secteur militaire de la Volga. Le 1 er mai, lors de la revue traditionnelle, personne ne lui adresse la parole. Il est seul. Tragiquement seul.
Le 20 mai, on commence à parler en URSS de la découverte d’un complot militaire. Le 26 mai, Toukhatchevski arrive au siège de son nouveau commandement. Ses subordonnés constatent que ses cheveux ont blanchi. Le lendemain, on l’arrête.
Le héros de la guerre civile a été ramené à Moscou et écroué à la prison militaire de Lefortovo. Interrogé par les méthodes habituelles – et l’on sait aujourd’hui ce qu’elles étaient –, il semble bien que Toukhatchevski n’ait pas avoué.
Les autres grands chefs militaires soviétiques sont également sous les verrous. Gamarnik a préféré mettre fin à ses jours mais Iakir, Ouborévitch, Kord, Eidemann, Primakov, Feldmann et Boutna sont arrêtés. Le 11 juin 1937, la radio de Moscou annonce : « Ces détenus sont accusés d’infraction au devoir militaire (serment), de trahison envers la patrie, de trahison envers les peuples de l’URSS, de trahison envers l’Armée rouge ouvrière et paysanne. Les éléments recueillis au cours de l’instruction ont permis d’établir la participation des accusés, ainsi que celle de Gamarnik qui s’est suicidé récemment, à une entreprise contre l’État, en liaison avec les milieux militaires dirigeants d’un des États étrangers qui mènent une politique inamicale envers l’URSS. Se trouvant au service de l’espionnage militaire de cet État, les accusés remettaient systématiquement des renseignements secrets sur l’état de l’Armée rouge et accomplissaient un travail de sabotage pour l’affaiblissement de la puissance militaire soviétique. Ils tentaient ainsi de préparer, en cas d’agression militaire contre l’URSS, la défaite de l’Armée rouge, dans le dessein final de contribuer à un rétablissement, en URSS, d’un pouvoir de grands propriétaires terriens et de capitalistes. Tous les inculpés se sont reconnus entièrement coupables des accusations relevées contre eux. L’examen de cette affaire aura lieu aujourd’hui, 11 juin, à huis clos, par le tribunal judiciaire spécial de la Cour suprême de l’URSS sous l’autorité du président du tribunal militaire de ladite cour, Ulrich…»
Le 12 juin, on apprend que Toukhatchevski, Iakir, Ouborévitch, Kork, Eidemann, Primakov et Boutna ont été passés par les armes. Les accusés ont été fusillés en plein jour, dans la cour du bâtiment du NKVD que l’on avait entourée de
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