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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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fonts baptismaux, la carte de l’Europe lui rappelle chaque jour l’existence d’un trop puissant voisin : la Russie soviétique. D’où sa préoccupation de ne faire à Staline aucune peine, même légère. Heydrich l’a compris très tôt : pour perdre définitivement Toukhatchevski, il faut intoxiquer Beneš. Si l’on convainc le président tchécoslovaque de la culpabilité du maréchal, il s’empressera d’en avertir Staline.
    C’est ce à quoi va s’employer maintenant le SD. Aucun problème : n’a-t-on pas sous la main le précieux Skobline ?
    À peine le Russe blanc est-il mis au courant qu’il s’enthousiasme et affirme qu’il sait à quelle porte frapper. On lui laisse carte blanche. Il part pour Genève où fonctionne un service de renseignements privés auquel Beneš accorde toute sa confiance. Un Tchèque du nom de Nemanov le dirige. Skobline le rencontre, aborde naturellement un autre sujet et, incidemment, fait allusion aux rapports secrets qui existent entre Toukhatchevski et l’état-major allemand. La réaction de son interlocuteur convainc Skobline que sa tactique est bonne. Il informe aussitôt Berlin que Beneš ne tardera pas à mordre à l’hameçon. Heydrich exulte.
    Il a tort. C’est Jahnke qui avait raison : Skobline, patriote nationaliste russe blanc passé au service de Hitler, est aussi un agent soviétique !
     
    Ici, le lecteur est prié de ne pas se récrier sur le caractère invraisemblable, voire extravagant, de cette histoire.
    Première surprise : la découverte de la triple appartenance du général Skobline. Le lecteur doute : c’est trop. Qu’il se souvienne que Skobline a épousé la Plevitskaïa et qu’il en est fou. Or, avant de devenir sa femme, celle-ci a travaillé pour la Tcheka, puis pour la Guépéou, enfin pour le NKVD. La preuve en sera apportée par les documents que la police française saisira en 1937 au domicile parisien des Skobline. Peu à peu, la danseuse est parvenue à modifier sinon les opinions, du moins le comportement de son mari. Vers 1930, Skobline lui-même est passé à la solde de la Guépéou. Lorsque l’on suit le couple à la trace, on s’aperçoit que son train de vie se modifie du tout au tout. Finies les petites pensions de famille de la Côte d’Azur où l’on compte les morceaux de pain attribués à chaque client. Le couple revient dans la région parisienne et achète une propriété en Seine-et-Marne. Il mène désormais une brillante existence mondaine. L’homme qui a combattu avec héroïsme au sein des armées blanches, ce patriote exemplaire s’est « moralement désintégré  (61)  ».
    Aussi effarant que cela puisse paraître, il existe une logique dans le comportement de Skobline. Son dessein ultime est toujours de venir à bout des bolcheviks détestés. Il ne s’est jamais résigné à la victoire des rouges. Il hait en particulier Toukhatchevski qui a porté tant de coups décisifs aux blancs. Skobline rêve du jour où une croisade contre le bolchevisme chassera du Kremlin Staline et sa clique. Skobline a espéré que les Français et les Anglais s’uniraient pour mener à bien la besogne. Il a compris qu’il faisait fausse route. C’est alors que, voyant grandir la puissance du pouvoir nazi, il s’y est rallié tout en continuant à fournir au NKVD les informations qui lui sont demandées. Jouer entre Hitler et Staline représente un pari que personne d’autre n’aurait osé risquer. Skobline l’a pris.
    Le lecteur doit savoir aussi que son orgueil est sans limite. Il n’éprouve que du dédain pour le général Miller, son chef à la tête de l’Organisation mondiale des militaires russes en émigration. À ses yeux, ce qui caractérise surtout Miller, c’est la mollesse. Il en a aussitôt tiré conséquence. Un seul homme peut mener à bien la croisade : lui, Skobline.
    À la fin de novembre 1936, il rencontre, dans un hôtel de Seine-et-Marne, deux agents du NKVD. Un marché est conclu : il livrera Miller au NKVD qui se chargera de son élimination définitive  (62) . Quant à Skobline, il contribuera à faire abattre le maréchal Toukhatchevski dont Staline a d’ores et déjà décidé la condamnation.
    C’est selon le scénario arrêté d’un commun accord avec le NKVD que Skobline s’est rendu à Berlin pour « révéler » à Heydrich que Toukhatchevski entretenait des relations secrètes avec le Grand État-Major allemand. C’est à partir de là qu’a été

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