C'était le XXe siècle T.2

camions, afin que les moteurs étouffent le bruit des coups de feu.
     
    La mère de Toukhatchevski, sa femme, l’une de ses sœurs, ses deux frères seront exécutés. Ses trois autres sœurs et sa fille seront envoyées dans des camps de concentration. Toukhatchevski avait été marié trois fois : ses deux premières épouses seront, elles aussi, envoyées dans des camps de concentration. La femme, le frère et plusieurs membres de la famille de Iakir seront exécutés. Une de ses cousines sera condamnée à douze ans d’emprisonnement. Son fils, âgé de quatorze ans, sera emprisonné pendant plusieurs années.
     
    On a réhabilité, en 1963, le maréchal Toukhatchevski. Une de ses filles et trois de ses sœurs assistaient à la cérémonie. Comment ne pas penser à ce grand soldat, à celui qui avait cent fois risqué sa vie pour la cause de la révolution et qui, devant ses « juges » demandait : « Vous n’avez pas rêvé cela, par hasard ? » Comment ne pas penser au général Iakir qui, avant de mourir, écrivait à Staline : « Je suis un loyal soldat, dévoué au parti, à l’État, au peuple. Toute ma vie consciente s’est écoulée dans un travail honnête, plein d’abnégation, sous les yeux du parti et de ses dirigeants. Je suis honnête dans chacune de mes paroles. Je mourrai en prononçant des paroles d’amour pour vous, pour le parti et pour le pays, avec une foi inébranlable en la victoire du communisme » ? De sa propre main, Staline a écrit sur cette lettre : « Scélérat et prostitué ». Vorochilov a cru devoir y ajouter : « Définition parfaitement exacte ». Molotov a approuvé en signant rageusement. Kaganovitch est allé plus loin : « Pour le traître, la crapule et l’… ( ici, un mot obscène ), un seul châtiment : la mort ».
    Les exécutions de 1937 marquent le début d’une purge militaire sans exemple dans l’histoire. Seront fusillés : trois maréchaux sur cinq ; soixante-quinze des quatre-vingts membres du Conseil supérieur de la guerre ; treize sur quinze des commandants d’armée. Trente-cinq mille officiers seront éliminés physiquement. La moitié des cadres supérieurs de l’armée soviétique !
    Dans ses souvenirs, le général Gorbatov évoque son arrivée au front en 1941 et sa stupeur devant la débâcle de de l’Armée rouge : « La confirmation de ce que j’avais craint me glaçait d’effroi : comment nous battre, privés de tant d’officiers et de chefs expérimentés dès avant la guerre ? Incontestablement, c’était là l’une des principales causes de nos échecs, bien qu’on n’en parlât pas, ou qu’on représentât la chose comme si “ayant chassé les traîtres de l’armée” en 1937-1938, on avait accru sa puissance.  (67)  »
    La mégalomanie de Joseph Staline avait failli conduire l’URSS à sa perte.

IX

Opération Himmler
    31 août 1939
    — Vous êtes l’homme qu’il me faut.
    Ces mots décisifs viennent d’être prononcés par un homme que nous connaissons bien : Reinhard Heydrich, second de Himmler. Ils s’adressent à un SS dont nous n’avons pas oublié le rôle dans l’affaire Toukhatchevski : Alfred Naujocks.
    Que faut-il, le 5 août 1939, à Reinhard Heydrich ?
     
    Le 15 juin précédent, le général von Brauchitsch a fait tenir au Führer son plan confidentiel concernant une campagne militaire contre la Pologne. « Le but de l’opération, déclarait le commandant en chef de l’armée allemande, est d’anéantir les forces armées polonaises. Les dirigeants politiques exigent que la guerre commence par des attaques violentes et inopinées. L’intention du haut commandement de l’armée est d’entraver la mobilisation régulière et la concentration des troupes polonaises au moyen d’une invasion surprise du territoire, et de détruire ensuite le gros de l’armée polonaise supposée stationnée à l’ouest de la ligne Vistule-Narev, par une attaque concentrique partant de Silésie, d’une part, et de Poméranie-Prusse-Orientale, d’autre part. »
    Le monde vit donc ses dernières semaines de paix. Quelques mois plus tôt, rentrant de Munich, le Premier ministre britannique Neville Chamberlain, brandissant son parapluie symbolique, s’était écrié :
    —  Peace for our time !
    Prédiction dérisoire. À Berlin, à la chancellerie du Reich, c’est une guerre totale que Hitler se prépare à déclencher. Elle nécessitera « non seulement la