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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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Soixante sénateurs m’attendent auxquels je dois des explications.
    Déjà, il est dehors.
     
    Conformément à la Constitution, le Sénat et la Chambre des députés siègent séparément. Les députés, sous la présidence d’Édouard Herriot, se réunissent au Casino. Les sénateurs, eux, se sont vu attribuer la salle des Sociétés médicales. C’est vers ce dernier lieu – particulièrement austère – que Laval, à grands pas, se dirige. Quand il entre, sûr de lui, les sénateurs le considèrent avec une curiosité inquiète. Ce qu’ils attendent, ce sont des explications sur la réforme constitutionnelle dont tous s’entretiennent. Brutalement, Laval entre dans le vif d’un autre sujet :
    — Le gouvernement a décidé de ne pas déclarer la guerre à l’Angleterre.
    D’évidence, les sénateurs n’imaginaient pas que l’on ait pu envisager une telle réplique à Mers el-Kébir. Laval enchaîne :
    — Le Parlement doit être dissous. La Constitution doit être réformée. Elle doit s’aligner sur les États totalitaires. L’institution des camps de travail doit être envisagée. Si le Parlement n’y consent pas, c’est l’Allemagne qui nous imposera toutes ces mesures avec, comme conséquence immédiate, l’occupation de toute la France.
    À un tel langage, le sénateurs ne répondent que par un profond silence. Sans doute suffirait-il, à cette heure précise, qu’un seul se lève et dise clairement que la Constitution de 1875 ne sera pas modifiée pour que le projet mis en œuvre par Laval s’effondre. Personne ne se lève.
    Jusqu’au 10 juillet, date à laquelle l’Assemblée nationale votera son propre anéantissement, il ne reste que six jours. Six jours pendant lesquels un seul homme va mener l’une des plus audacieuses manœuvres de l’Histoire : celle à la fois de la séduction et de l’intimidation.
    Seul ? Pas tout à fait. Laval a ses amis, ses clients. D’aucuns diront ses complices. On connaît leurs noms : Jean Montigny, Xavier Vallat, Adrien Marquet, Marcel Déat – lui aussi néo-socialiste – François Piétri, Georges Bonnet, Gaston Bergery, d’autres.
    Serait-ce que, dès le premier jour, les parlementaires se sont résignés à l’abdication pure et simple ? Nullement.
     
    Le 5 juillet – un vendredi –, les sénateurs sont sortis de leur stupeur. Nombre d’entre eux ont décidé de réagir contre les intrigues de Laval. Dès les premières heures de la matinée, Jean Taurines, sénateur du Rhône, convoque les anciens combattants du Sénat. D’enthousiasme, ils votent une motion de fidélité au maréchal Pétain, mais ils se hâtent de proclamer en même temps leur attachement à la légalité républicaine. Cet ordre du jour, Jean Taurines annonce qu’il ira le porter au Maréchal. Ce sera l’occasion de lui expliquer pourquoi les projets de Laval sont inacceptables.
    Toute la journée, Taurines tentera d’obtenir un rendez-vous. En vain. À ses réclamations, Alibert oppose un barrage obstiné.
    Pendant ce temps, au Casino, Laval affronte les députés. Ils ne sont encore que quatre-vingts. Sur la scène, on a installé une tribune et un fauteuil présidentiel. Laval vient s’asseoir au premier rang des fauteuils d’orchestre, réservé aux membres du gouvernement. Pas un seul de ces députés n’ignore la déclaration sans nuances, inadmissible, prononcée la veille par Laval devant les sénateurs. Nul n’est disposé à se laisser faire et déjà les interpellateurs se succèdent. Voici Marcel Héraud, député indépendant de Paris : « Il ne faut pas tolérer les menaces qui visent à coup sûr le régime. » Voici Georges Monnet, député SFIO, ami personnel de Léon Blum : « Qu’arrivera-t-il si, le maréchal Pétain étant investi du pouvoir, un accident lui survient ? »
    Impavide, Laval écoute. Il se lève, mais évite de monter à la tribune. S’adossant à la rampe, il fait face à la salle. Il parle. Un discours ? Non. Une conversation à bâtons rompus. L’acoustique est excellente. Il n’a pas besoin d’élever la voix. Pas plus que la veille, il ne dissimule rien. Allant droit au but, il provoque :
    — Nous avons à rebâtir la France. Nous voulons détruire la totalité de ce qui est. Ensuite, cette destruction accomplie, créer autre chose, qui soit différent de ce qui a été, de ce qui est. De deux choses l’une : ou bien vous acceptez ce que nous vous demandons, et vous vous alignez sur

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