C'était le XXe siècle T.2
paix. Donc, négocier avec l’Allemagne nationale-socialiste. Hitler ne voudra prendre au sérieux qu’un régime nouveau. Si l’on attend, il sera trop tard. Que nul ne s’inquiète du vote des Assemblées : il les connaît, lui, les Assemblées ! Qu’on lui donne carte blanche, il fait son affaire du résultat.
Ceux qui l’entendent là, à cette table, comprennent pourquoi l’avocat Laval a si souvent gagné les procès qu’il plaidait. Sa force de conviction emporte tout. Tous regardent le Maréchal et le voient ébranlé. Malgré tout, le vieil homme hésite encore : si l’on veut convoquer l’Assemblée nationale, il faut la signature du président de la République. La donnera-t-il ?
Fulgurante, la réplique de Laval :
— Je me fais fort d’obtenir le plein accord d’Albert Lebrun !
Il n’attend pas la réponse, il est déjà debout, il bouscule la porte, court à sa voiture qui démarre en trombe dans la direction de Royat où réside Albert Lebrun.
Une heure plus tard, le conseil siège toujours. Laval paraît, hors d’haleine. Sur son visage, un air de triomphe qu’il ne songe même pas à dissimuler :
— Eh bien, monsieur le maréchal, ça y est !
Non sans admiration, le Maréchal considère l’Auvergnat au teint de quarteron. Le vieux soldat au regard bleu lance deux mots qui scellent un avenir :
— Alors, essayez…
Le 1 er juillet, le gouvernement quitte ce Clermont-Ferrand décidément trop incommode. On a choisi de se rendre à Vichy. La célèbre station thermale regorge d’hôtels : une providence pour un gouvernement en exil, on n’ose dire en transhumance. Sur l’heure, les infortunés curistes reçoivent l’ordre d’évacuer leurs chambres. Chaque hôtel abritera désormais un ou plusieurs ministères ainsi que les services officiels. Le président Lebrun réside au pavillon Sévigné. Le Quai d’Orsay dispose de deux étages à l’hôtel du Parc, cependant qu’un autre est réservé au maréchal Pétain, un autre encore au président Laval. À l’encontre des autres ministres, fatalement cloués sur place, Laval pourra au moins rentrer tous les soirs chez lui. Châteldon, dont – Rastignac paysan – il a acheté le château, ne se trouve qu’à quelques kilomètres.
« Essayez », a dit le Maréchal à Laval. L’Auvergnat fait bien plus qu’essayer. La machine est en marche, l’Assemblée nationale convoquée. Elle ne sait pas encore pourquoi mais, de partout, les parlementaires se mettent en devoir de répondre à la convocation diffusée par la voie des ondes : « Les sénateurs et les députés sont invités à rejoindre d’urgence Vichy, en vue de l’Assemblée nationale. »
Radio-Paris, sous contrôle allemand, ira même un peu vite en besogne. Le speaker explique que l’Assemblée nationale convoquée « doit voter au gouvernement du Maréchal un texte lui permettant de donner à la France la Constitution nouvelle qu’imposent les circonstances ».
Rien de plus étrange que ce Vichy de juillet 1940. Une faune insolite s’y côtoie : des activistes, des journalistes de toute opinion, de toute nationalité, des aventuriers, des gens en quête de places et de prébendes, de simples curieux. On prend d’assaut les rares chambres d’hôtel non réquisitionnées. On couche sur la paille au Concours hippique, on fait queue dans les restaurants. « Les bars débordent de rumeurs, de pronostics, de fausses nouvelles. Comme il n’y a plus de téléphone, que le télégraphe est hors d’usage, que les ouvrages d’art sont détruits et les routes obstruées, c’est au Chantecler, à la Restauration, au bar des Ambassadeurs, du Parc et du Cintra, que se retrouvent les courriéristes en quête d’informations (78) . »
Tout cela, les parlementaires le découvrent peu à peu. Ils étaient deux cents à Bordeaux. Ils seront bientôt six cents à Vichy, conscients qu’une immense réprobation pèse sur eux. C’est une constante chez nous : les Français, après une défaite, accusent plus volontiers le régime qu’eux-mêmes. Le premier Empire est mort à Waterloo, le second à Sedan. Les Français de 1940 veulent oublier que la République a gagné la Grande Guerre et ne lui pardonnent pas d’avoir perdu celle-ci. Chez ces bourgeois qui forment l’essentiel de la population et de la clientèle de la ville d’eaux, un cri général monte contre elle. Il s’enfle pour faire le procès du Front populaire.
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