C'était le XXe siècle T.2
s’écrie Laval, si votre contre-projet est voté, je démissionnerai et ce sera alors la dictature du général Weygand.
Taurines ne cède pas d’un pouce. Un pli de contrariété barre le front de Pierre Laval.
Il n’est pas au bout de ses peines. L’après-midi, à 16 heures, au Casino, Pierre-Etienne Flandin, ancien président du Conseil arrivé de la veille, prend la parole. Il affirme que point n’est besoin de changer la Constitution. Il suffit de demander au président de la République de donner sa démission et d’élire ensuite le maréchal Pétain président de la République :
— Ainsi, nous obtiendrons le résultat cherché, tout en respectant la Constitution !
Flandin est acclamé. À cette heure précise, incontestablement, Laval est en échec. Le 8 juillet, il en tire la leçon. Parlant d’abord devant les députés, puis devant les sénateurs, il rassure. En même temps, il inquiète ;
— Je vous mets en garde : on nous guette !
Il revient sur la nécessité pour la France de s’intégrer « dans une politique européenne et continentale » et il conclut avec une conviction qui entraîne les applaudissements :
— Cela est possible, cela est indispensable, à condition de préserver toujours ce qui nous donne la fierté d’être français !
Même tactique auprès des sénateurs. Les nouveaux propos de Laval lui rallient des élus du Sénat qui se montraient, la veille encore, les plus récalcitrants. Pas de doute : c’est au cours de ces deux réunions que Laval a joué le jeu le plus serré et qu’il a marqué le plus de points.
9 juillet, 9 h 30. Les députés se réunissent dans la salle du Grand Casino où l’on a tenté de reconstituer le décor du Palais-Bourbon. Un « à la manière de ». Édouard Herriot préside. Il tient des propos conciliants.
— Autour de monsieur le maréchal Pétain, dans la vénération que son nom inspire à tous, notre nation s’est groupée en sa détresse. Prenons garde à ne pas troubler l’accord qui s’est établi sous son autorité.
Ce que l’on demande aux députés, c’est de voter sur le principe d’une réforme constitutionnelle. Vote positif : 395 voix pour, 3 voix contre.
L’après-midi, sous la présidence de Jeanneney, les sénateurs se réunissent dans la même salle. Ne voulant pas être en reste, Jeanneney atteste « à monsieur le maréchal Pétain notre vénération et la pleine reconnaissance qui lui est due pour un don nouveau de sa personne ». À son tour, le Sénat approuve la révision de la Constitution, par 229 voix contre une seule.
Les Assemblées sont donc convenues de réviser la Constitution de 1875. Elles n’ont pas encore décidé de ce qui la remplacera. Tout va se jouer le lendemain à la réunion, en Assemblée nationale, des députés et des sénateurs.
10 juillet, 10 h 30. Baignant les jardins du Casino, un soleil éclatant. Les députés, les sénateurs arrivent par petits groupes. Un cordon d’agents contient la foule accourue comme au spectacle. On se nomme les parlementaires, on se pousse du coude, on commente, on murmure, parfois on invective. Voici Blum, Reynaud – mal remis d’un grave accident d’automobile dans lequel il a perdu sa compagne, Hélène de Portes –, Flandin, Louis Marin, Paul-Boncour, Herriot, Jeanneney.
Enfin Pierre Laval, maître d’œuvre et chef d’orchestre. Costume croisé, chapeau cronstadt, cravate blanche, petit sourire. Jamais sans doute il ne s’est senti aussi fort, aussi sûr de sa ruse, de sa fermeté nuancée de souplesse, du mépris qu’il ressent pour les hommes.
On sait que le Maréchal ne paraîtra pas à l’Assemblée nationale. Toute la responsabilité du combat revient à Laval.
La séance est présidée par Valadier, vice-président du Sénat. Il peut compter, en face de lui, 666 députés et sénateurs. D’emblée, il va lire le projet du gouvernement, ce fameux article unique révélé naguère par Laval aux ministres pétrifiés et qui donne au maréchal Pétain tous pouvoirs pour promulguer la nouvelle Constitution de l’État français. Constitution qui sera « ratifiée par les Assemblées qu’elle aura créées ».
Déjà voici Taurines, fidèle à lui-même, qui s’avance et dépose sur le bureau, au nom des sénateurs anciens combattants, le contre-projet dont il donne lecture. Importantes, les différences entre les deux textes. Dans le premier, celui de Laval, le Maréchal est
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