C'était le XXe siècle T.2
Quand Léon Blum, courageusement, paraîtra à Vichy, il sera injurié et couvert de crachats par les hommes de Doriot et les cagoulards.
Ces parlementaires traumatisés suivent l’irrésistible mouvement qui conduit chacun à faire le siège de l’hôtel du Parc. La plupart s’agglutinent devant l’entrée, les plus audacieux se glissent dans le hall. Là, que voient-ils ? Laval qui passe, cigarette aux lèvres, grave et sûr de lui, mais surtout le Maréchal… Un témoin, Pierre Nicolle, nous en propose une image quasi cinématographique : « L’attention de tous est attirée irrésistiblement vers le fond du grand salon, dans la partie qui sépare celui-ci de la salle à manger privée. À chaque table, les femmes, les hommes se lèvent dans une attitude respectueuse. Un homme vient d’apparaître, entouré de deux ou trois personnages. Cet homme, c’est le maréchal Pétain. Il est en veston, la tête haute, il avance lentement, de cette démarche curieuse qui semble le porter majestueusement. Ses yeux bleus posent leur regard sur la salle entière, il répond affablement d’un signe de tête et de ce geste de la main qui lui est familier aux saluts déférents qui l’accueillent. À plusieurs reprises, il s’arrête, échange quelques paroles avec les uns ou les autres, questionne, sourit, puis se retire…»
Dans ce pays qui doute de tout – et d’abord de lui-même –, dans cette France de l’abandon et du désespoir, les Français croient découvrir soudain l’arbre auquel se raccrocher. Ses racines leur semblent s’implanter au plus profond de la terre de France. Les vaincus regardent vers l’homme d’une victoire. Il est octogénaire – et c’est le Père. On jure qu’il n’est responsable de rien – et c’est le Recours.
Une intrigue, fut-elle aussi habile que celle que va mener Pierre Laval, ne peut réussir que si elle s’étaie sur une tendance majoritaire de l’opinion. À n’en pas douter, elle existe.
Un certain général de Gaulle parle à la radio de Londres. Il jette l’anathème sur le gouvernement de Vichy, affirme que la France n’a perdu qu’une bataille et non point la guerre. On l’écoute peu. Ceux qui, répondant à son appel, le rejoindront les jours suivants à Londres, ne seront qu’une poignée, d’autant plus héroïques qu’ils se sauront isolés dans la nation.
Laval constate que c’est l’histoire qui apporte le plus d’eau à son moulin. Encore tout cela n’est-il rien en regard de la terrible nouvelle qui va parvenir le 3 juillet à Vichy : à Mers el-Kébir, la flotte anglaise a ouvert le feu sur la flotte française. Le total des victimes françaises est de 1 297 tués et disparus, de 351 blessés.
Au conseil restreint qui va se réunir le 4 juillet, à 8 h 30 du matin – où ne se rencontrent que le Maréchal, Laval, l’amiral Darlan et Baudouin –, la colère gronde. Darlan et Laval préconisent une attaque sur Gibraltar. Baudouin proteste violemment, convainc le maréchal qu’il vaut mieux s’abstenir. En revanche, on décide de rendre officielle la rupture des relations diplomatiques entre la Grande-Bretagne et la France : elle existait de fait depuis le départ de sir Ronald Campbell. On a évité le pire.
Au Conseil des ministres qui se réunit à 10 heures, la position de Baudouin et du Maréchal est confirmée : il n’y aura pas d’attaque contre l’Angleterre. Gardons-nous cependant de minimiser les conséquences de Mers el-Kébir dans le processus de liquidation du régime.
D’ailleurs, Laval, maître en pragmatisme, ne perd pas une minute. L’émotion et la colère ne sont pas apaisées qu’il tire un papier de sa poche : c’est un projet de loi rédigé en collaboration avec Alibert. La voix martèle chaque ligne de l’article unique de cette loi :
« L’Assemblée nationale donne tous pouvoirs au gouvernement de la République sous la signature et l’autorité du maréchal Pétain, président du Conseil, à l’effet de promulguer par un ou plusieurs actes la nouvelle Constitution de l’État français. Cette Constitution devra garantir les droits du travail, de la famille et de la patrie. Elle sera ratifiée par les Assemblées qu’elle aura créées. »
Plusieurs ministres ouvrent la bouche pour prendre la parole, questionner, discuter. Laval – véritable prestidigitateur – s’est dressé :
— Je m’excuse de ne pas vous laisser ouvrir une discussion à ce sujet.
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