C'était le XXe siècle T.2
cette heure-là, Pétain se rallie à la possibilité d’un changement de régime. Il ignore encore quelle forme celui-ci pourra revêtir. Il sait seulement que, pour réaliser l’opération, il aura besoin de Laval.
Quatre jours plus tard, une nouvelle étape est franchie. Le Maréchal nomme Laval vice-président du Conseil.
En évitant le départ pour l’Afrique du Nord, Pierre Laval a gagné une première manche. Il est en place pour gagner la seconde : liquider le régime.
Le 28 juin, le général Weygand adresse une note au Maréchal. Elle est éloquente :
« 1) La France ne veut plus de l’ancien ordre des choses. 2) Il faut instaurer un régime social sans lutte de classes. 3) La famille doit être mise à l’honneur. 4) Contre la vague de matérialisme, il faut réformer l’éducation de la jeunesse. 5) À programme nouveau, hommes nouveaux. Le temps nous presse. »
Naguère, l’armée s’enorgueillissait d’être la « grande muette ». Décidément, les temps ont changé.
D’après la convention d’armistice, Bordeaux doit être occupé par les Allemands. Il faut donc que le gouvernement se replie vers la zone dite libre. Où aller ? On décide de se transporter à Clermont-Ferrand où l’on parvient vers la fin de l’après-midi. Il faut lire, dans les souvenirs des protagonistes, le récit accablant de ce nouvel exode. Ce personnel qui va prendre d’assaut les chambres des hôtels de Clermont et celles des villes d’eaux des environs est à l’image de la France : éperdu.
Le 30 juin, dans la matinée, un conseil restreint réunit Pétain, Alibert, nouveau ministre de l’Intérieur, Laval, Baudouin, ministre des Affaires étrangères et Bouthillier, ministre des Finances. Retenons cette date : pour la première fois, officiellement , il est question de changer de régime. Sur le principe, les cinq présents sont d’accord. Sur les modalités, ce n’est pas encore le cas.
Ce que souhaite avant tout Bouthillier, c’est qu’il soit possible de gouverner « sans être harcelé par le Parlement ». Le ministre des Finances tient une solution toute prête :
— Il suffirait de différer jusqu’au 15 janvier 1941 une nouvelle réunion des Chambres. L’article premier de la loi constitutionnelle du 16 juillet 1875 vous le permet, puisque cette loi stipule que le Sénat et la Chambre des députés se réunissent chaque année le second mardi de janvier. D’ici là, monsieur le Maréchal, la situation aura évolué. On verra clairement où l’on en est. Et puis, à ce moment, vous pourrez exposer au Parlement ce que vous aurez fait.
Silence des autres. Est-ce un acquiescement ? Le Maréchal, lui, se déclare prêt à accepter cette solution qui sauvegarde l’existence de la République .
L’après-midi, nouvelle réunion du même conseil. Cette fois, Laval et Alibert – l’ex-anarcho-syndicaliste et le maurrassien à l’unisson – exposent leur plan :
— Il s’agit de convoquer le plus tôt possible les députés et les sénateurs, de les réunir en Assemblée nationale et de leur faire voter un texte autorisant le maréchal, président du Conseil, à promulguer une nouvelle loi constitutionnelle.
On ne saurait mieux dire qu’il s’agit de renverser le régime. Autour de la table, Bouthillier et Baudouin s’agitent. Rêve-t-on ? Comment peut-on espérer découvrir au sein des deux Chambres une majorité qui accepterait de consacrer son propre suicide ?
Sous les coups de boutoir des objections, Laval – son éternelle cigarette aux lèvres – garde un calme dédaigneux. Les sénateurs, les députés, il est sûr de les mettre dans sa poche. Il ne le dit pas, mais sûrement il le pense.
Le curieux de l’affaire, c’est que le Maréchal, à cet instant précis, s’affirme sceptique. C’est même avec une fermeté inaccoutumée qu’il répond à Laval : les circonstances actuelles ne sont pas propices à une réforme de la Constitution.
— Il faudrait, pour cela, être à Paris et dans un Paris libre. Nous verrons cela plus tard.
Foin de la déférence que l’on doit à un maréchal de France ! Laval éclate, répond à Pétain comme il l’eût fait à un quelconque interpellateur du Palais-Bourbon. La colère le fait trembler, il crie que l’on ne peut tolérer aucun délai, que l’on n’a pas le droit d’hésiter. Il est sûr de parler au nom de son pays. La France est vaincue. Bientôt, il faudra en venir au traité de
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