C'était le XXe siècle T.2
Et tout à coup, des deux côtés, s’élève le même chant de L’Internationale . Immense.
Aux cris de fraternité et d’union, on se jette les uns vers les autres. On se prend les mains, on s’embrasse. Marcel Cachin, Vaillant-Couturier, Léon Blum se parlent comme de vieux amis qui se retrouvent. En fond sonore :
— Unité d’action !
— Unité partout !
— Le fascisme ne passera pas !
L’unité d’action entre les partis de gauche s’est nouée ce jour-là. Au bout de la route, il y aura l’alliance pour les élections de 1936.
Et le Front populaire.
III
La Nuit des longs couteaux
30 juin 1934
L’aube, au bord d’un lac paisible, dans une pension de famille allemande. Un vacarme soudain éveille les dormeurs : un homme se rue dans les couloirs vides, dans l’escalier, revolver au poing, suivi par des soldats furieux. D’une chambre, une voix ensommeillée s’étonne :
— Quoi ? Qu’est-ce que c’est ? Qui est là ?
Dans le couloir, la main serrée sur la crosse de son revolver, l’homme répond, d’une voix rauque :
— C’est moi, Adolf !
Il ne s’agit pas d’un chef de gang venu régler son compte à un autre chef de gang, mais du chancelier d’un grand pays, du chef légal d’un peuple de cinquante millions d’âmes. Il vient arrêter – lui, personnellement –, mettre à mort peut-être, le plus ancien de ses vieux camarades.
Comment ne pas évoquer Brecht et sa Résistible Ascension d’Arturo U i ? Nous avons cru qu’il s’agissait d’une transposition poétique. Le chef d’un gouvernement légitime, au XX e siècle, ne dirige pas lui-même une opération de basse police. Il ne s’élance pas à la tête d’un commando. Impossible. Brecht, grand dramaturge, a décidément trop d’imagination.
C’est oublier que notre siècle a dépassé le possible et l’impossible. Celui qui, à 6 heures du matin, le 30 juin 1934, vient surprendre dans son sommeil, Ernst Roehm, le tout-puissant chef des Sections d’assaut, s’appelle Adolf Hitler.
Le 3 août 1921, Ernst Roehm a eu l’idée de créer les SA. Les réunions du jeune parti national-socialiste étaient fréquemment troublées par des adversaires politiques. Souvent, cela dégénérait en corps à corps. D’évidence, il fallait assurer la sécurité des rassemblements. À l’origine, les SA n’ont été qu’un service d’ordre appelé Sturmabteilung , abréviation : SA. Les Français ont traduit cela par Sections d’assaut. Sans perdre de temps, on en a recruté les premiers membres, des militants prêts à recevoir les coups, mais surtout à frapper fort.
Leur chef Roehm est un officier de 14-18. Il s’est bien battu. Défiguré dans un combat, la chirurgie esthétique lui a refait le visage et remodelé un nez. Il lui en reste des traces évidentes. Roehm est repoussant. Un physique de reître et d’aventurier. Comme tant d’autres Allemands – comme Hitler lui-même –, il est sorti amer, désespéré, de la défaite. Officier dans l’armée de l’armistice, il organise la garde civile bavaroise pour écraser les rouges. C’est le temps où se crée le parti ouvrier national-socialiste. Quelques dizaines de membres. Par ordre de l’armée qui veut être informée, le capitaine Roehm entre dans ce parti. Un peu plus tard, il voit paraître un certain Adolf Hitler, lui aussi envoyé par l’armée. Intéressant, ce Hitler qui parle bien. Roehm conseille aux membres du minuscule parti de faire de lui leur propagandiste.
Roehm est donc le premier qui ait cru en Hitler. C’est à lui que le futur Führer doit sa carrière. Désormais, les deux hommes vont vivre en parfaite communion d’idées. Quand Hitler devient le chef indiscuté du parti, Roehm se veut le plus fidèle, le plus ardent de ses disciples. Son ami le plus intime et peut-être le seul. Hitler tutoie Roehm alors qu’il ne tutoie personne, en tout cas aucun de ses lieutenants.
Lors du putsch du 9 novembre 1923 Roehm sera à Munich avec Hitler et Goering. Après l’échec, il reconstituera les Sections d’assaut. Il y croit, à ses SA. Il voudrait transformer le parti en un nouveau corps franc, le subordonner aux SA. Hitler refuse : il veut un parti politique, pas un groupe de choc. Déçu, Roehm a quitté l’Allemagne pour l’Amérique du Sud où il est devenu l’instructeur de l’année bolivienne.
Là-bas, lui parviennent les échos des succès nationaux-socialistes. À l’élection
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