C'était le XXe siècle T.2
l’ordre de boucler tout le quartier et d’envoyer des détachements armés protéger la chancellerie.
Trop tard.
Les camions qui transportent les conjurés viennent de s’arrêter devant la porte principale de la chancellerie. On leur ouvre sans difficulté la grille, car c’est l’heure de la relève de la garde. Les nazis sautent à terre et maîtrisent les quelques hommes du détachement d’honneur de la garde. Brandissant leurs armes, ils s’élancent au pas de charge à travers la cour et, en quelques minutes, investissent tous les bâtiments.
Dans son bureau, Dollfuss ne comprend pas. Que veulent dire ces cris, ces bruits de bottes, ces porte enfoncées ? Karwinski le rappelle à l’évidence :
— C’est le putsch ! Filons d’ici…
Fey, qui est resté là, confirme :
— Il faut fuir.
Les trois hommes sortent du bureau, se mettent à courir vers la salle du conseil. Karwinski les arrête. Il vient de se souvenir que, dans un bureau du troisième étage, une tapisserie dissimule un cabinet d’aisances. Jamais les nazis n’y trouveront Dollfuss. Karwinski est formel :
— Montons au troisième étage. Vous serez en sécurité. Vite !
Les voici dans l’escalier. C’est alors que les rejoint un vieillard essoufflé, le portier Hedvicek, qui arrête par la manche le chancelier :
— Pas par là, monsieur le chancelier ! Je connais une issue bien plus sûre. Vous pourrez quitter la chancellerie sans être inquiété.
Karwinski secoue la tête, jure que sa solution est bien meilleure :
— Vite, au troisième !
Cependant, nul mieux que Hedvicek ne connaît la chancellerie.
Dollfuss balance pendant plus d’une minute. Enfin :
— Bien, dit-il à Hedvicek, je vous suis.
Bon gré, mal gré, Karwinski et Fey doivent emboîter le pas au chancelier que précède Hedvicek.
13 h 30. On a traversé le cabinet de travail, on parvient au fond du « salon du coin » qui donne accès aux appartements du président de la République. Voici la porte qui doit assurer le salut. Elle est fermée.
La suite, nous la connaissons. Dans un instant, le chancelier d’Autriche Engelbert Dollfuss agonisera, frappé de deux balles par le sous-officier nazi Planetta.
Bien sûr, Otto Planetta, interrogé plus tard, affirmera qu’il s’agit d’une erreur. Que, voyant devant lui des hommes inconnus, il leur a ordonné de lever les mains. Que Fey et Karwinski ont obtempéré mais qu’un petit homme en civil ne l’a pas fait et s’est avancé vers lui. Se croyant menacé – dans de tels cas, on se croit toujours menacé – Planetta a tiré.
Par chance, aucune loi ne nous oblige à croire les assassins.
Allongé de tout son long sur le parquet, les bras en croix, Dollfuss vit. Faiblement, il appelle :
— Au secours ! Au secours !
Autour de lui, les nazis font cercle. Ils regardent le sang couler de ses blessures. Pas un ne songe à intervenir, ce qui contredit formellement l’explication de Planetta.
Comme prévu, le second commando a envahi la Maison de la radio. Sous la menace, le speaker lance sur les ondes le communiqué préparé :
— Le chancelier Dollfuss a donné sa démission. Le docteur Rintelen a été chargé de former le nouveau gouvernement.
Il ne va pas plus loin, la police fédérale cerne l’immeuble. On le prend d’assaut. Les rafales crépitent. On se bat. Bientôt, les studios seront en feu.
À la chancellerie, deux policiers gardés en otages, un inspecteur et un sergent, voient avec surprise s’approcher d’eux quelques nazis. Mal à l’aise, ils semblent agir à l’insu de leurs chefs. Ils murmurent :
— Le chancelier fédéral est… blessé.
Un regard interrogateur des policiers. Ils comprennent que les nazis leur laissent la voie libre. Ils courent jusqu’au petit salon où – toujours les bras en croix – Dollfuss gît sur le parquet. Autour de lui, la flaque de sang s’est considérablement élargie. Son visage est blanc. Il a perdu connaissance.
— Il faut appeler un médecin, dit le sergent aux nazis qui les ont suivis.
Les nazis ne bougent pas. Le sergent insiste :
— Il faut qu’un médecin vienne tout de suite.
Un des nazis, enfin, conseille à voix basse :
— Adressez-vous au capitaine Holzweber. Il est dans la cour.
Les policiers le rejoignent, l’adjurent d’appeler un médecin. Le capitaine refuse de prendre toute initiative. L’inspecteur s’élance vers les prisonniers arrêtés
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