C'était le XXe siècle T.2
combattent à un contre dix. Avec la même fureur, on se bat pendant toute la journée du 13, puis le 14. Ce jour-là, Dollfuss fait savoir que ceux qui se seront rendus avant le 15 à midi seront pardonnés.
Les insurgés n’ont plus de munitions. Ils sont à bout, brisés. Le matin du 15, la Heimwehr enlève les ultimes îlots de résistance. Les morts et les blessés se comptent par centaines.
Implacable, la répression. Le parti social-démocrate reste interdit. Plus de syndicats. Un grand nombre de militants socialistes sont internés dans les camps de concentration. Leur régime n’a rien à envier à ceux qu’instaure à la même époque Himmler en Allemagne : Dachau est de 1934. Quatorze chefs du Schutzbund sont condamnés à mort. Trois sont pendus dans la cour de la prison de Vienne. Comment l’Histoire pourrait-elle oublier ?
Dollfuss sent qu’on l’a forcé à aller trop loin. Il voudrait revenir en arrière. Il propose, en ce qui concerne les syndicats, un compromis. À qui ? Il ne trouve plus d’interlocuteur. Ce qui lui répond, c’est le silence. « Entre la classe ouvrière et lui, il y a un fossé de sang, un fossé trop large pour pouvoir être comblé par des phrases. (28) »
Sur le plan intérieur, Dollfuss est un homme seul. Il l’est aussi sur le plan extérieur. Les journaux français commentent avec horreur les coups de canon tirés sur les ouvriers. Aux yeux des États démocratiques, Dollfuss n’est plus que l’émule de Hitler. Ce « suppôt de la réaction » est devenu un « bourreau fasciste ».
Pourquoi Engelbert Dollfuss ne poursuivrait-il pas sa route ? Il pense, sur sa droite et sur sa gauche, avoir éliminé les menaces les plus sévères. Il lui reste à mettre en place la nouvelle Constitution qui fait de l’Autriche un État corporatif. Le 1 er mai, elle est promulguée par Dollfuss lui-même au cours d’un discours-fleuve au stade de Vienne :
— La pierre fondamentale est posée. Restons unis dans l’amour de notre petit mais beau pays !
Et Hitler ? Il sait que, tant que Mussolini sera l’ami de Dollfuss, il ne pourra rien tenter contre l’Autriche. Il sait aussi que Mussolini ne l’estime guère, lui, le Führer allemand. Il sait enfin que, tout au long de son aventure politique, il en a séduit de plus coriaces que le Duce. En juin 1934, Hitler rencontrera donc Mussolini à Venise. Entrevue peu concluante. Mussolini, cambré dans son uniforme rutilant, menton levé et postures avantageuses, écrase ce Hitler qui a cru devoir se vêtir d’une jaquette noire, d’un pantalon rayé, le tout complété par un imperméable jaune et un chapeau mou. Maladroitement, Hitler évoque la supériorité de la race nordique. D’où ce commentaire aigre-doux que Mussolini fera en privé :
— Si les théories nazies sont exactes, les Lapons devraient depuis longtemps dominer le monde.
Longuement, Hitler tentera de convaincre Mussolini que Dollfuss est un dangereux criminel. Mussolini – parfaitement informé par un volumineux rapport adressé quelques jours plus tôt par Dollfuss – énumérera les exactions commises par les commandos terroristes nazis en Autriche.
C’est un Hitler déçu qui regagne Berlin.
Les nazis autrichiens ne comprennent pas. Depuis le jour de l’avènement de Hitler, ils étaient sûrs que leur Führer réglerait définitivement l’affaire autrichienne. Pourquoi ne bouge-t-il pas ? Quand il reçoit des militants autrichiens à Munich ou à Berchtesgaden et s’ils l’adjurent d’intervenir, il répond :
— Le fruit n’est pas encore mûr.
Au vrai, l’Allemagne n’est pas en état d’entreprendre une action qui risquerait de se transformer en entreprise guerrière. Auparavant, Hitler doit rétablir le service militaire obligatoire, remilitariser la Rhénanie, obtenir l’alliance de Mussolini. Tout cela est clair pour les diplomates, nullement pour les militants autrichiens. Il faut donc que ce soient eux, les nazis d’Autriche, qui prennent l’initiative : « Plaçons Hitler devant le fait accompli…»
À la surprise générale, Dollfuss ôte au major Fey, le 11 juillet 1934, la responsabilité des services de sécurité. Il la confie au baron Karwinski à qui l’on ne connaît aucun engagement politique. La raison de ce limogeage ? Dollfuss ne peut que constater les risques qui grandissent de par la menace aggravée des nazis autrichiens. Peut-être le jour est-il proche où il
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