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C'était le XXe siècle T.2

C'était le XXe siècle T.2

Titel: C'était le XXe siècle T.2 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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par les nazis :
    — N’y a-t-il pas un médecin parmi vous ?
    Pas de médecin. Un troisième policier rejoint les deux premiers. Les nazis laissent faire. On retourne dans le « salon du coin » où, nageant dans son sang, Dollfuss est toujours évanoui. Les policiers se penchent sur lui, constatent que son pouls bat. Ils découpent sa chemise, son veston. Ils épongent le sang qui ne cesse de couler. À l’adresse des nazis, l’un d’eux lance :
    — On ne peut pas le laisser à terre ! Il faut l’allonger !
    Gravement, les nazis opinent. Ils traînent même un canapé rouge vers la fenêtre, soulèvent avec une sorte de délicatesse le chancelier et l’y portent. Les policiers lavent maintenant les plaies de Dollfuss. Ils lui humectent le front. Et Dollfuss revient à lui ! Il questionne :
    — Comment vont les ministres ?
    — Ils vont bien.
    — Je voudrais parler à l’un d’entre eux.
    Les policiers se tournent d’instinct vers les nazis. Même réponse :
    — Il faut demander au capitaine Holzweber.
    Toujours le capitaine. On va le chercher. Il s’incline respectueusement devant le sofa.
    — Monsieur le chancelier fédéral, vous m’avez fait appeler.
    — Je voudrais voir le docteur Schuschnigg.
    — Il n’est pas là, monsieur le chancelier.
    — Alors, le baron Karwinski.
    Tant d’insistance choque le capitaine. Il effectue un demi-tour réglementaire et s’en va. Le chancelier Dollfuss demande aux policiers de lui soulever les jambes.
    — Je ne sens rien. Je dois être paralysé.
    Il sait qu’il va mourir. Il remercie les policiers.
    — Mes enfants, comme vous êtes bons pour moi ! Pourquoi les autres ne le sont-ils pas ? Je n’ai jamais voulu que la paix. Jamais nous n’avons attaqué. Nous n’avons fait que nous défendre.
    Il regarde du côté des nazis qui vont et viennent :
    — Que Dieu leur pardonne !
     
    À l’heure où Dollfuss agonise, partout dans Vienne le putsch est vaincu. La police est totalement maîtresse de la situation. Les troupes fédérales marchent sur la chancellerie.
    À la chancellerie, justement, les nazis s’inquiètent. À mesure que le temps passe, ils se sentent abandonnés. De minute en minute, le capitaine Holzweber voit décliner le moral de ses hommes. Une idée lui vient. Si, tout simplement, on obtenait de Dollfuss qu’il désigne Rintelen comme son successeur ? Ainsi, tout serait réglé. Holzweber va même chercher à mettre Emil Fey dans son jeu. Disons-le : rien n’est moins clair, dans toute cette affaire, que le rôle du major Fey.
    Quand Fey s’approche du canapé, Dollfuss lui sourit.
    — Je n’en ai plus pour bien longtemps, dit-il faiblement. Je voudrais, avant de mourir, te demander deux choses.
    Il parle les yeux clos :
    — La première est celle-ci : dis à Mussolini de prendre soin de ma femme et de mes enfants.
    — Je te le promets, Engelbert.
    — Quant à ma succession, je confie à Kurt Schuschnigg le soin de former le nouveau cabinet. Si jamais il lui arrivait malheur, je veux que Skubl devienne chancelier.
    Schuschnigg, le ministre de l’Instruction publique. Skubl, le préfet de police.
    Du coup, les nazis sortent de leur apathie. L’un deux brandit son revolver, il menace Dollfuss :
    — Chargez le ministre Fey de dire au docteur Rintelen de former le gouvernement et donnez des ordres pour que les troupes fédérales cessent leur agression contre la chancellerie !
    Doucement, Dollfuss répète :
    — Ce sera Schuschnigg qui formera le cabinet. Si les rebelles l’ont tué, lui aussi, ce sera Skubl.
    Les nazis savent maintenant que la chancellerie est encerclée par les troupes fédérales. C’est Fey qu’ils vont charger de négocier leur sauvegarde. Le major appelle par téléphone l’ambassadeur d’Allemagne qui propose et obtient que tous les hommes du commando soient autorisés à quitter la chancellerie et se voient remettre un sauf-conduit pour la Bavière.
    Après quoi, Fey s’avance sur le balcon, parle au chef des troupes fédérales :
    — Les insurgés consentiront à se retirer si on leur accorde un sauf-conduit !
    La réponse claque :
    — Accordé, si tout le monde est sain et sauf !
    Et Fey répond :
    — Tout le monde est sain et sauf.
    À-t-il donc oublié le chancelier ?
    Toujours sur son canapé rouge, Dollfuss murmure :
    — J’ai soif.
    Il étouffe. La voix est presque imperceptible :
    — J’embrasse ma femme et mes enfants…
    Le

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