C'était le XXe siècle T.2

sang lui jaillit de la bouche. Le râle qui monte épouvante, par sa force, ceux qui l’entendent.
    Quelques instants avant 16 heures, ce râle s’arrête. Engelbert Dollfuss, chancelier d’Autriche, laissé sans soins pendant trois heures, n’est plus.
     
    À la nouvelle de l’échec des nazis autrichiens, Hitler, qui assiste à Bayreuth au festival Wagner, s’est effondré.
    — C’est une catastrophe ! Un nouveau Sarajevo !
    Le pire à ses yeux est cette fureur que Mussolini non seulement ne songe pas à dissimuler, mais qu’il proclame à grand fracas. S’adressant publiquement au vice-chancelier Starhemberg, le Duce exprime sa « profonde douleur » et les « sentiments unanimes d’exécration et de regrets du peuple italien ». Il stigmatise « les responsables directs et lointains  ». À Mme Dollfuss, il déclare :
    — Les nazis – Hitler en tête – sont de véritables monstres !… On n’assassine pas impunément les amis de l’Italie ! L’indépendance de l’Autriche sera défendue par l’Italie avec encore plus d’acharnement ! Je le dois à la mémoire sacrée de mon ami Engelbert…
    Les actes vont suivre sans tarder. Quatre divisions italiennes – 32 000 hommes – font mouvement vers le col du Brenner. Pour Hitler, voilà qui dépasse tout ce qu’il avait pu redouter.
    Qui peut le tirer de là ? Soudain, il trouve : von Papen ! Ne paraissant pas se souvenir que celui-ci n’a échappé que par miracle à la Nuit des longs couteaux – trois semaines plus tôt ! – il l’appelle en pleine nuit au téléphone :
    — Il faut que vous partiez immédiatement pour Vienne, comme mon ministre plénipotentiaire.
    Papen se rebiffe :
    — Après mon arrestation au moment de l’affaire Roehm, il n’est pas question que j’accepte !
    Hitler s’humilie, supplie :
    — Je fais appel à votre patriotisme !
    — Non, non, je refuse !
    Von Papen finira par céder. Il sera nommé « ministre en mission spéciale » dépendant seulement du Fiihrer. Après avoir jugé en arrivant à Vienne qu’il s’était fixé une « tâche presque surhumaine », il parviendra à faire baisser la tension en Europe  (29) .
    L’accord négocié par Fey – le sauf-conduit pour les conjurés – s’est trouvé caduc quand on a découvert la mort du chancelier. Les membres du commando ont été jugés, Planetta et le capitaine Holzweber pendus. On a procédé à onze autres exécutions. Tous sont morts en criant :
    — Vive le peuple allemand ! Heil Hitler !
    Soixante autres condamnés à mort seront graciés et leur peine commuée en travaux forcés à perpétuité. Rintelen, lui, s’est tiré une balle dans la tête, s’est raté, a été condamné à vingt-cinq ans de travaux forcés. Lors de l’ Anschluss , Hitler le libérera avec tous les autres.
     
    Engelbert Dollfuss, le petit paysan bâtard, est allé reposer dans la crypte des Capucins dont, jusque-là, les Habsbourg s’étaient réservé l’accès. Sur son cercueil de bronze, on a frappé les armes de l’Autriche. Selon sa volonté, Kurt Schuschnigg est devenu chancelier.
    Tant que Mussolini protégera l’Autriche, l’indépendance du pays sera préservée. Lors de l’aventure éthiopienne, les sanctions votées contre l’Italie par la SDN jetteront le Duce dans les bras d’un Hitler qui entretemps aura rendu une armée à l’Allemagne.
    Le samedi 12 mars 1938, les forces allemandes franchiront la frontière autrichienne. Le 13 mars, l’ Anschluss sera proclamée. Le 14 mars, au milieu d’un triomphe digne des empereurs romains, Adolf Hitler entrera dans Vienne.
    Sa première décision : ordonner que la place qui portait le nom du chancelier Dollfuss devienne la place Planetta.

V

Alexandre I er meurt à Marseille
    9 octobre 1934
    Sous les acclamations des Marseillais en délire, le cortège du roi Alexandre I er de Yougoslavie s’avance sur la Canebière à une allure si lente qu’elle en devient hiératique. Au fond et à droite de l’antique Delage noire dont l’arrière a été décapoté, le roi salue et arbore, sous son bicorne d’amiral, un sourire que quantité de témoins jureront avoir vu crispé. Il a quarante-six ans. Il est mince, glabre, son nez busqué est surmonté de lorgnons sans monture.
    La barbiche de Louis Barthou, ministre français des Affaires étrangères qui a pris place à côté de lui, est célèbre : d’aucuns sont tout prêts d’y découvrir un