C'était le XXe siècle T.2
symbole de la III e République. Il a soixante-douze ans.
En face du roi, sur un strapontin, le général Georges. De part et d’autre de la Canebière, la foule. Elle crie : Vive le roi !
Il est 16 h 15.
Du trottoir un homme jaillit. Lui aussi crie Vive le roi ! Il s’élance vers la voiture. Nul ne songe à l’arrêter. Déjà, il a sauté sur le marchepied, il brandit une arme et tire à bout portant sur le roi. Dans l’instant, Alexandre glisse de la vie à la mort.
Tout a commencé à Sarajevo. En 1914, l’archiduc François-Ferdinand y est assassiné. La Serbie, accusée par l’Autriche d’avoir armé la main des assassins, se voit imposer la guerre par Vienne. Ainsi les Serbes ont-ils combattu, tout au long de la Première Guerre mondiale, aux côtés des Français, des Anglais et des Russes. Ainsi s’explique leur extraordinaire popularité auprès de nos compatriotes.
Or cette guerre va confirmer les divisions des peuples que l’on désigne comme slaves du Sud. Si les Serbes se rangent parmi les Alliés, les Croates et les Slovènes se battent sous commandement autrichien. Ce qui frappera l’opinion, c’est, à la fin de la guerre, que les uns et les autres afficheront le même et violent désir d’autonomie. Les Serbes veulent la recouvrer, les Croates et les Slovènes la conquérir. Après l’armistice, un congrès va donc se réunir à Zagreb en novembre 1918, un autre à Belgrade un mois plus tard. Le monde applaudit à la naissance d’un nouvel État, le « royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes », qui deviendra la Yougoslavie et dont on a offert la couronne au roi Pierre I er de Serbie. La maladie lui ôtant toute possibilité de régner, son fils Alexandre va exercer les responsabilités du pouvoir.
Théoriquement, un royaume fédératif est né. En fait, Alexandre n’oubliera jamais qu’il est serbe. Les Croates le sentiront bien qui, dès 1918, manifesteront en faveur d’une reconnaissance de leur autonomie. Il n’existe peut-être pas de peuple au monde plus ombrageux que les Croates. Certains en viennent à parler d’une partition de la Yougoslavie. Au nom de l’unité nationale, Belgrade répond en faisant fusiller à Zagreb des manifestants croates parce qu’ils ont réclamé la république : au sein d’une monarchie autoritaire, un crime. Les Croates ripostent par des attentats. La répression s’alourdit. On arrête les meneurs. Le sang coule.
L’image idéale que les Alliés s’étaient formée de la Yougoslavie commence à se ternir. Est-ce une dictature sanglante que l’on est en train d’y instaurer ? La France fait part de sa « profonde préoccupation ». On comprend à Belgrade que l’on a été trop loin. On libère les prisonniers, on lève les interdits. Un net soulagement se fait jour parmi les Croates. Certes, ils réclament toujours l’autonomie, mais ils ne rejettent plus le cadre fédéral. Le chef du parti paysan croate, le docteur Raditch, se rallie même avec éclat à Alexandre et devient son ministre de l’Instruction publique.
À la mort de Pierre I er , Alexandre I er est proclamé roi. La Yougoslavie nouvelle se présente comme un État parlementaire où les institutions semblent fonctionner sans heurt. Jusqu’au jour – le 20 juin 1928 – où, dans l’enceinte du Parlement du royaume, le député serbe Rachitch tue en pleine séance, à coups de revolver, cinq députés croates dont le leader Raditch. Avant de mourir, ce dernier aura la force de murmurer : « Jamais plus à Belgrade ! »
Les Croates prennent Raditch au mot. Leurs députés quittent la capitale yougoslave. Ils n’y reviendront plus.
Par tempérament, Alexandre est un autocrate. Il déteste la démocratie (30) . Entre ses mains, l’ incident du Parlement se mue en prétexte. Le roi abroge la Constitution, dissout le Parlement et renvoie les députés chez eux. Désormais, il gouvernera tout seul. Bon gré mal gré, les Croates doivent se plier aux volontés du monarque serbe. On arrête leurs leaders, on interdit leurs journaux. Revendiquer, écrire, parler même leur est interdit. Il leur reste une arme redoutable. Ils vont en user.
Le terrorisme, les Slaves du Sud savent ce que c’est. Avant guerre, on en apprenait la technique au sein des sociétés secrètes : la Main noire correspondait à une institution et l’ORIM macédonienne était une puissance. La guerre achevée, l’ORIM subsiste, plus redoutée que
Weitere Kostenlose Bücher