C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Par le hublot de sa cabine, Mussolini aperçoit le petit port tout proche et les gens aux fenêtres. Pour la première fois depuis son arrestation, il laisse paraître de l’appréhension :
— Je ne veux pas débarquer en plein jour.
Maugeri lui répond qu’il en sera fait suivant son désir. Un peu plus tard, Polito lui montre de loin la maison aux volets verts et à trois étages qui lui a été réservée. Quand on lui raconte qu’un ras abyssin y a été détenu, l’ex-Duce ploie les épaules comme sous le coup de la fatalité.
C’est à 10 heures du soir, à bord d’une vedette, qu’il aborde l’île. On se rend directement à la maison choisie. Au premier étage, Mussolini trouve une chambre à coucher aux murs passés à la chaux. En tout et pour tout, un lit de camp, un lavabo, un fauteuil dont le rembourrage éclate, une vieille table probablement prise dans une auberge, tailladée, couverte de taches de vin et de graisse.
Mussolini ferme les poings, s’approche de la fenêtre. Il gronde :
— Basta !
Il saisit le fauteuil défoncé, le traîne au milieu de la chambre, répète :
— Basta !
Il s’assoit au bord du lit et, de ses mains, se couvre le visage. Un peu plus tard, un sous-officier lui apporte un matelas, une paire de draps, une tasse de bouillon, un œuf, deux poires (104) .
Ses seuls rapports avec l’extérieur s’établiront avec des pêcheurs qui s’approcheront volontiers chaque fois qu’il s’avancera, devant la mer, sur le balcon de sa chambre. Quand le soleil l’y invite, il se plante devant eux le torse nu.
Le temps passe. Long, si long. Pour tenter d’en venir à bout, il traduit en allemand des poèmes italiens et lit une vie de Jésus. Chaque jour, il se lève de bonne heure, prend au petit déjeuner un peu de lait et un œuf, à midi une salade de tomates crues, un œuf, du pain et des fruits, le soir, un verre de lait. Aussitôt la nuit venue, il se couche. Cela dure onze jours.
À l’occasion de son anniversaire, le 29 juillet, il reçoit un télégramme de Goering l’assurant de sa « complète solidarité » et de son « amitié fraternelle ». Son amertume grandit. Il est convaincu que bientôt l’Italie capitulera et qu’on le livrera aux Alliés.
Le 1 er août, on lui remet une lettre de Rachele contenant 10 000 lires et une lettre de sa fille Edda qu’il jette sous le lit : il ne pardonnera pas à Ciano d’avoir voté contre lui. Le même jour, on lui apporte une caisse de fruits et deux malles envoyées par sa famille. Enfin, il peut changer de linge !
Quelques jours plus tard, on l’éveille à l’aube : il faut partir. Il rassemble ses affaires. Une chaloupe le conduit vers un bâtiment de guerre, la Panthère . Sur le pont, l’attend l’amiral Maugeri qui, au premier coup d’œil, lui trouve meilleure mine : « Il paraît plus hardi, moins livide, moins flasque… Toujours le même complet, toujours le même chapeau. »
Il est vrai que, dans la voix de Mussolini, perce quelque chose qui ressemble à de la gaieté quand il demande :
— Alors, amiral, où allons-nous ?
— À l’île de la Maddalena.
— De plus en plus inaccessible !
Par une mer difficile, on rejoint l’île, au nord de la Sardaigne. On le conduit cette fois dans une maison entourée d’un parc planté de pins et dominant la mer : la villa Weber, appartenant à un Anglais. La Maddalena a été évacuée par les civils après un bombardement particulièrement violent. N’y restent que quelques marins, un petit nombre de pêcheurs et cent carabiniers.
L’ex-Duce va passer trois semaines sur cette île. Le mois d’août, en 1943, est très chaud. Des carabiniers et des policiers montent la garde, de jour et de nuit, autour de la villa. « Les journées s’écoulaient longues et ennuyeuses, dira Mussolini, sans que la moindre nouvelle parvînt à moi. » Il commence à rédiger ce qu’il appellera « une sorte de journal ». Il le publiera plus tard. Devant cette mer figée par le soleil, il attend.
Sur les traces de son histoire, je me suis rendu à la Maddalena. Au port, il faut s’engager à gauche sur une petite route. Là, à quelques centaines de mètres, on découvre la maison intacte, plate et longue, à demi cachée derrière les pins. Ce jour-là, j’étais seul à m’arrêter devant la grille rouillée de l’entrée. Les gens passaient derrière moi, indifférents.
Le seul événement inattendu
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