C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
meubles impressionnaient par leur sonorité : la conversation d’un garçon de restaurant, à l’extrémité la plus éloignée de la salle à manger, s’entendait jusque dans le hall. L’écho des pas des rares clients se répercutait de loin en loin sur le dallage.
J’étais là pour tout apprendre de la captivité de Mussolini. L’empressement du personnel de l’hôtel – et la gentillesse italienne – m’y ont aidé au-delà de mes espoirs.
Au second étage, on m’a montré les deux chambres, précédées d’une entrée et complétées par une salle de bains, qui avaient été attribuées au prisonnier : petites, très petites. La porte à peine poussée, il suffisait de trois pas pour se heurter à la fenêtre. Trois pas à droite ? Le mur. Trois pas à gauche ? Le mur. L’image s’impose aussitôt de l’ex-Duce allant et venant, comme en une cage, d’un bout à l’autre de ces deux pièces. De l’une d’elles, il a fait sa chambre. De l’autre, son salon et son bureau. Quand il est entré pour la première fois dans sa chambre, il y a trouvé un tapis. Peut-être l’avait-on mis là en son honneur. Logique, il a trouvé que ce tapis détonnait dans ce qui ressemblait tant à des cellules monacales. Il l’a roulé et remisé dans un coin.
On lui apporte ses repas. Des mets qui conviennent à son ulcère : du riz à l’eau, des œufs, des oignons bouillis, très peu de viande, beaucoup de fruits. Ayant décidé de suivre une cure uvale, il dévore sept livres de raisin par jour.
Dès qu’il ouvre la fenêtre, il subit le vacarme des véhicules motorisés, les ordres vociférés, les allées et venues bruyantes des soldats et des carabiniers. Non seulement ceux-ci occupent toutes les chambres de l’hôtel et, à longueur de journée, font retentir les couloirs de leurs chaussures cloutées, mais on les tient en éveil par des manœuvres sans cesse renouvelées.
Le silence ne s’établit – relativement – que lorsque, l’après-midi, il se promène à pied escorté d’un major. Le soir, un inspecteur vient bavarder avec lui, à moins qu’il ne descende, au salon de l’hôtel, faire d’interminables parties de cartes avec des officiers ou de simples soldats.
On a mis à sa disposition un poste de radio. Chaque jour, il est à l’écoute. Il se branche aussi bien sur la radio italienne que sur les ondes allemandes et même anglaises. C’est ainsi que, le 8 septembre, il apprend qu’un armistice vient d’être signé entre l’Italie et les Alliés.
Ce qu’il avait prévu.
Désormais, il n’est plus prisonnier du roi et de Badoglio, mais des Alliés à qui sont soumis Badoglio et le roi. Un jour prochain – il en est sur – ces Alliés-là viendront le chercher. Et que feront-ils de lui ? Le 10 septembre, Radio-Alger et, le 11, Radio-Berlin annoncent qu’aux termes du traité les vainqueurs ont imposé aux Italiens que leur soit remise la personne de Benito Mussolini. Il se souvient de bruits qui couraient avant sa captivité. On avait parlé d’un imprésario qui voulait le montrer, enchaîné, à Madison Square Garden, et d’un producteur de Hollywood qui offrait un million de dollars pour la participation de Mussolini à une superproduction.
Ses gardiens l’entendent marmonner :
— Je ne subirai jamais une telle humiliation.
Le 11 au soir, il prend à part un lieutenant de carabiniers et le supplie de lui remettre son revolver. Le lieutenant refuse et rend compte à ses chefs. Aussitôt, on lui prend son rasoir, on emporte les couteaux. Un ordre, pourtant, est arrivé au Campo Imperatore : Mussolini ne doit pas tomber vivant entre les mains des Allemands.
Les Allemands ? Depuis l’arrestation de Mussolini, ils suivent sa piste.
À peine, le 25 juillet 1943, Hitler a-t-il appris l’arrestation de Mussolini que, le jour même, il a chargé le général Student, chef des parachutistes, de le faire évader. Cela veut dire en premier lieu le retrouver, après quoi le tirer des mains de ses gardiens. Aucune de ces opérations n’était évidente. Student a décidé d’en confier la responsabilité à Otto Skorzeny.
Un personnage, ce Skorzeny. Ce colosse de 1,86 m est issu d’une famille viennoise qui compte de nombreux soldats mais pour autant ne roule pas sur l’or. Étudiant, il a consacré plus de temps au sport qu’aux études. De l’un des quinze duels qu’un sens de l’honneur exacerbé lui a fait engager, il garde, sur
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