C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
jamais ébloui la paysanne des Romagnes toujours restée fidèle à la simplicité sans apprêt de ses origines. Elle a connu Benito journalier, ouvrier maçon, militant socialiste. Elle lui a donné son premier enfant sans songer à l’épouser. Entre eux, une connivence absolue a résisté à tout, à la gloire tumultueuse, aux amours multipliées par cet homme insatiable. Cette nuit-là, le regard de Rachele brûle de passion contenue. « Je l’ai suivi dans son bureau, racontera-t-elle, et nous nous sommes regardés en silence car, dans les mauvais moments, nous n’avions pas besoin de mots pour nous comprendre. Il était exténué. » Elle l’écoute, sans mot dire, résumer la séance et ce qui en est résulté. Un seul commentaire qui, pour elle, souligne l’évidence :
— Tu les as tous fait arrêter ?
Il secoue la tête.
— Non. Mais je le ferai demain.
Quand, à 5 heures, Mussolini se couche, il fait jour. Il cherche vainement le sommeil. À 7 h 30 il est debout, à 8 heures il a revêtu son uniforme. Il refuse la piqûre qui, chaque matin, lui est faite pour son ulcère. Il explique :
— Mon sang est trop en ébullition.
L’étrange journée. Mussolini agit comme si, la nuit précédente, le Grand Conseil ne l’avait pas mis en minorité. À 9 heures, il gagne le palais de Venise où il reçoit l’ambassadeur du Japon. Un matin comme les autres ? Pas exactement : on lui apporte un message du roi. Victor-Emmanuel III l’attend, à 17 heures, à la villa Savoia.
Il choisit de rentrer déjeuner chez lui et passe par un quartier bombardé. Il fait arrêter sa voiture. Quand il parcourt les ruines, la foule l’acclame. Il déjeune tard, à 15 heures, d’un simple bol de soupe.
À Rachele, sans élever la voix, il annonce :
— Je vais voir le roi.
Aussitôt, elle se rebelle :
— N’y va pas. On ne peut pas se fier à lui.
Posément, il répond :
— Je suis un homme honnête, Rachele. Nous avons un traité avec l’Allemagne. Nous ne pouvons trahir. Le roi l’a aussi signé. Nous devons discuter ensemble de cette question… C’est une heure triste comme celle de Caporetto (102) . Mais nous pouvons nous reprendre. Je passerai le commandement au roi pourvu qu’il me donne le pouvoir de faire arrêter les traîtres.
Donc il n’a pas renoncé. La vérité est qu’il ne conçoit pas que l’appui royal puisse lui manquer. Au début, les premiers fascistes le poussaient à proclamer la République. Il s’y est refusé. Victor-Emmanuel lui doit d’avoir gardé son trône. Sûrement, dans un moment pareil, il ne l’oubliera pas. Pour tenir compte du vote du Grand Conseil, Mussolini se propose simplement de demander au roi de changer trois ministres.
Un coup de téléphone de la villa royale. On prie Mussolini de bien vouloir se rendre auprès du roi en tenue civile. Il ne fait aucun commentaire, ôte son uniforme et passe un complet-veston. Un autre coup de téléphone : de Scorza. Le secrétaire du parti fait savoir au Duce que le maréchal Graziani, persuadé que Mussolini se trouve en danger, se met à sa disposition. Le Duce invite Scorza à le rejoindre, en compagnie de Graziani, en fin d’après-midi. Il les verra tous deux à son retour de l’entrevue royale.
Ayant coiffé un chapeau de feutre noir, il part pour la villa Savoia.
Le petit roi – sa taille est la providence des caricaturistes étrangers – a été, en pleine nuit, informé des résultats du Grand Conseil fasciste par le duc Acquarone. Sur-le-champ il a pris sa décision : il se séparera de Mussolini et le remplacera par le maréchal Badoglio. Au cours de la journée, il s’est peu à peu résolu à aller plus loin.
À 16 h 30, cependant que cinquante carabiniers sont venus prendre position dans le jardin, le général Cerica a gagné la villa royale. Acquarone lui a donné l’ordre d’arrêter Mussolini. Cerica a réclamé un ordre écrit. Acquarone est allé le demander à Victor-Emmanuel qui se promenait, non loin de là, dans le jardin. D’une voix à peine perceptible, le roi a répondu :
— Va bene .
L’ordre remis au général Cerica est signé du général Ambrosio et du duc Acquarone (103) .
À 17 heures, la voiture de Mussolini franchit le portail grand ouvert de la villa Savoia. Elle se range devant le perron sur lequel le roi attend. Victor-Emmanuel descend les marches, tend la main en souriant à Mussolini et lui demande s’il va
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