C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
amical :
— Vous allez bien ?
Calmement, il se dirige vers le coin où est disposé le costume qu’il portait à son procès. Il s’habille. Après quoi il s’assied, écrit à sa femme et à son fils. Il cachette la lettre.
Il a un regard dédaigneux vers l’avocat général Dupin, très pâle. Petiot lance :
— Occupez-vous de M. Dupin ! Soutenez-le, je crains qu’il n’ait une syncope.
L’aumônier de la Santé, l’abbé Berger, a rejoint la cellule. Il s’approche du condamné. D’un geste, Petiot l’arrête dans son élan.
— Je vous remercie, monsieur l’abbé, je n’ai pas besoin de vos services. Je suis un mécréant.
— Pourtant, votre femme, hier, m’a dit qu’elle souhaitait que je vous bénisse.
— Eh bien, faites. Mais vite…
Une brève prière de l’abbé. Petiot allume une cigarette. On lui tend le verre de rhum traditionnel. Il le repousse et lance encore :
— Merci, ni messe, ni rhum… Et maintenant, si on y allait…
Un jour, René Floriot m’a parlé du parcours de Petiot de sa cellule à la guillotine. Ce grand avocat me disait avoir été contraint, au cours de sa carrière, d’assister à plusieurs exécutions. Certains condamnés montraient simplement de la lâcheté. D’autres luttaient pour ne pas laisser paraître leur peur. D’autres encore affectaient un air dégagé.
— Il y avait toujours, dans leur démarche, une sorte de raideur qui démentait leur apparent détachement. Pour la première et seule fois, avec Petiot, j’ai vu un homme aller à l’échafaud avec un immense et total naturel. Il était à l’aise comme dans un salon.
Le voici face au bourreau, M. Desfournaux. On échancre sa chemise, on lui tond la nuque, on lui lie les mains derrière le dos, on lui entrave les pieds.
Sur son souhait, on lui allume une dernière cigarette. Petiot lance à l’adresse de Floriot :
— Ne regardez pas, Maître.
On lui demande s’il a des révélations à faire. Il répond :
— Je suis un voyageur qui emporte ses bagages.
Emporter est le mot. Nous ne savons rien du nombre réel de ses victimes. Rien de certain sur la manière dont il les a fait passer de vie à trépas. Rien de ce que sont devenues les sommes considérables qu’il leur a extorquées, rien du butin amassé lors des « perquisitions » qui ont suivi la Libération. L’hôtel de la rue Le Sueur n’existe plus. Ses acquéreurs l’ont démonté pierre par pierre. Ils n’ont rien trouvé.
Qui était le vrai Petiot ? Un homme au-delà du bien et du mal ? Sans doute mais nous ne pouvons nous empêcher d’évoquer les expertises de 1919 à 1936. Les psychiatres l’ont reconnu dément. Cette folie, l’avait-il feinte ?
Personne ne s’aviserait de regretter que l’on ait guillotiné Petiot. Pourtant, l’ampleur du crime a balayé toutes les notions traditionnelles du droit. Il faut relire l’article 64 du Code pénal :
« Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu est en état de démence au temps de l’action. » Était-ce le cas du docteur Petiot ?
Le temps où il commit ses crimes n’était-il pas aussi en état de démence ?
IX
L’homme d’Hiroshima
6 août 1945
Le 6 août 1945, dans le ciel du Japon, trois avions météo américains naviguent droit vers leurs objectifs. Quoiqu’ils soient investis de la plus redoutable des missions, qui ait été confiée à des pilotes, ce qui leur est demandé peut paraître anodin : ils doivent faire rapport sur les conditions météorologiques au-dessus des villes de Nagasaki et d’Hiroshima.
Ils ignorent qu’un quatrième appareil en vol vers le Japon, un bombardier B-29 du nom d’ Enola Gay , est porteur – lui – d’une bombe, une seule, mais que celle-ci recèle une telle puissance de destruction que les savants qui l’ont créée en demeurent eux-mêmes épouvantés. Cette arme est la première bombe atomique de l’histoire.
Pour en éprouver la toute-puissance, trois villes japonaises ont été choisies. Dans l’ordre : Hiroshima, Kokura, Nagasaki. Si la visibilité se révèle mauvaise à Hiroshima, on choisira Kokura. À défaut de Kokura, Nagasaki.
C’est ainsi que le vol des avions météo n’est pas aussi innocent qu’il peut y paraître. L’appareil qui se dirige vers Hiroshima se nomme le Straight Flush .
Il vole au radar. Impossible de naviguer autrement : une épaisse couche de nuages cache le sol. Va-t-on pouvoir repérer l’objectif ?
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