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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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comble : la récolte de riz s’annonce catastrophique.
    Depuis 1941, la guerre a tué deux millions et demi de Japonais.
     
    27 juillet 1945, 8 heures du matin.
    Dans l’étouffante chaleur de l’été japonais, quand le ministre des Affaires étrangères Shigenori Togo pousse la porte de son bureau, il trouve Shonichi Matsoumoto, son secrétaire d’État, déjà occupé à rédiger un projet de réponse à la Déclaration de Potsdam – et c’est une acceptation pure et simple. Comment envisager une autre réponse ? Quel espoir le Japon peut-il garder d’inverser le rapport des forces ? Comment faire face à la progression torrentielle des Américains ? Avec quels avions, avec quels bateaux ? Poursuivre la guerre, c’est choisir pour le Japon une mort sans appel. Le ministre lit le projet sur l’épaule du secrétaire d’État. À soixante-deux ans, Togo est solide, bourru, voire arrogant, mais lucide.
    — Une minute, fait-il. La chose est plus compliquée que vous ne le pensez.
    Sa voix s’imprègne de tristesse.
    — Jamais l’Armée n’acceptera la décision telle qu’on nous la présente.
    L’Armée. Le mot clé est prononcé. Au Japon, c’est l’Armée qui domine, dirige, gouverne. Cela dure depuis quatorze ans. C’est elle, en 1931, qui a provoqué « l’incident » de Mandchourie. Depuis, elle a assuré sans défaillance son emprise sur l’empire du Soleil-Levant. Or cette armée demeure imprégnée au plus haut degré des traditions nationales. Celles-ci veulent qu’un combattant acceptant sa défaite soit déshonoré. Seule la mort peut faire oublier un combat perdu.
    En 1945, le drame du Japon va se jouer entre la conviction, d’une part, d’hommes politiques qui, en entérinant la défaite, voudront assurer la survie de leur pays et celle, d’autre part, de chefs de l’Armée qui, le Japon dût-il être effacé de la carte du monde, exigeront de se battre jusqu’au dernier des Japonais.
    Togo fait partie des politiciens réalistes. Il n’est pas le seul. Dès février 1942, le marquis Koïchi Kido, garde du Sceau privé, est parvenu à une claire analyse de la situation respective des États-Unis et du Japon. Il a conseillé à l’empereur de « saisir toute opportunité de mettre fin le plus rapidement possible aux hostilités ». Depuis lors, un certain nombre de tentatives de négociations secrètes avec les États-Unis ont été engagées, notamment en Suisse. Sans résultat. Maintenant, il faut répondre à la Déclaration de Potsdam.
    — Jamais l’Armée n’acceptera la déclaration telle qu’elle est ! répète Togo.
    Il faut donc tourner les positions catégoriques de l’Armée. En cherchant le moyen d’y parvenir, Togo sait qu’il s’engage dans une lutte extrêmement périlleuse. Cela vaut-il la peine d’être tenté ? Togo le pense.
    Le ministre des Affaires étrangères lit et relit la déclaration. L’Union soviétique ne l’a pas signée – et pour cause : l’URSS n’est pas en guerre avec le Japon. Le seul espoir que prisse caresser Togo serait d’obtenir la médiation de Staline. Il ne sait pas encore que celui-ci, à Potsdam, a déjà promis à Truman et à Attlee d’entrer en guerre, lui aussi, contre le Japon.
     
    10 h 30 du matin.
    À Tokyo, dans la moiteur d’une canicule qui se confirme, une salle si étroite qu’on la croirait choisie pour donner raison au cliché occidental selon lequel tout est petit au Japon. Autour de la table plus longue que large, se sont assis ceux que l’on appelle les Six Grands du Japon : le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, le ministre de la Guerre, le ministre de la Marine, les chefs des états-majors généraux de l’Armée et de la Marine. C’est en qualité de membres du Conseil suprême pour la conduite de la guerre qu’ils ont été convoqués d’urgence.
    Regardons-les et d’abord celui qui préside : l’amiral Kantaro Suzuki, Premier ministre, quatre-vingt-un ans. Un héros vénéré : quarante ans plus tôt, au cours de la guerre russo-japonaise de 1905, il a commandé, au large de Tsushima, une charge suicide contre la flotte du tsar. Il a parcouru une carrière glorieuse mais peuplée de vicissitudes. En 1936, au cours d’une révolte d’officiers et de soldats, on a voulu l’assassiner : trois balles dans le corps. Au fil des années il a appris que les pacifiques, tout compte fait, parvenaient plus souvent à leurs fins que les

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