C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
l’abîme. À son avènement, il a dû choisir, comme ses prédécesseurs, un nom qui symbolise son règne. Il s’est arrêté à Showa : la paix. Amer, il constate que son règne se place désormais sous le signe de la guerre – et qui plus est d’une guerre désastreuse. Les pertes effroyables, militaires et civiles, enregistrées chaque jour le hantent : à quoi bon tant de vies sacrifiées puisque le Japon ne peut l’emporter ? Peu à peu, cet homme silencieux s’est mis à parler, ce souverain étranger aux affaires s’est immiscé dans le plus angoissant des débats. L’initiative d’une demande de médiation de la Russie soviétique est venue de lui. Depuis, tous ses entretiens avec le Premier ministre Suzuki ont la paix pour objet.
Le ministre Togo ne le sait pas. Courbé devant son souverain, il plaide : il faut, il faut que le Japon accepte les conditions de la Déclaration de Potsdam. Il ose lever les yeux sur l’empereur. Tout à coup, bouleversé jusqu’au fond de l’âme, il comprend qu’il s’adresse à un homme déjà convaincu.
De sa voix unie, Hiro-Hito l’invite à faire connaître au Premier ministre que l’opinion de l’empereur, se fondant sur les conséquences déjà produites par le « nouveau type » d’arme employé, est que le Japon doit interrompre les hostilités dans le plus bref délai. L’empereur ajoute que « sa sécurité personnelle ne compte pas en regard d’une fin immédiate de la guerre ». Ce qui importe, dit-il encore, c’est que ne se répète point la tragédie d’Hiroshima.
Lui, au moins, se préoccupe de la bombe. Et de ses effets.
Mercredi 8 août. Matin.
Chaque heure compte. Tout porte à croire que, faute de réponse, une seconde bombe tombera. La menace des Alliés ne renferme pas la moindre ambiguïté.
Impossible à Suzuki de tergiverser plus longtemps : il convoque de nouveau le Conseil suprême de la guerre. La séance doit être reportée ! Un de ses membres s’est excusé, retenu ailleurs – a-t-il fait savoir – « par des affaires plus pressantes ».
Les porte-parole de l’Armée donnent de la voix – il serait mieux de dire que leurs clameurs sont assourdissantes. Ils jurent que la bombe d’Hiroshima n’est « qu’un bluff américain ». Comment croire qu’il soit possible de « fabriquer et d’employer une arme atomique qui pourrait comporter des effets aussi dangereux pour ceux qui l’utiliseraient que pour ceux à qui elle serait destinée » ? L’anéantissement d’Hiroshima ? C’est tout simplement l’effet d’un grand nombre de bombes de type classique. Ne soyons pas dupes, ne tombons pas dans le piège ! Des batailles ont été perdues, la guerre ne l’est pas. Si l’on sait y mettre le prix, le Japon la gagnera.
Après-midi.
Molotov, ministre soviétique des Affaires étrangères, reçoit à Moscou l’ambassadeur du Japon. Il lui fait connaître que, le lendemain 9 août, l’Union soviétique se considérera en état de guerre contre le Japon.
Deux heures plus tard, l’Armée rouge pénètre en Mandchourie. Fin de la dernière illusion. Entre les Alliés et le Japon, il n’y aura point de médiateur. Va-t-on enfin tirer, à Tokyo, les leçons de la situation ?
Jeudi 9 août, 8 heures du matin.
Le ministre Togo court chez Suzuki. Il est fort en colère. Pourquoi, la veille, le Conseil suprême de la guerre a-t-il été ajourné ? Il doit se réunir sur-le-champ. Le vieil homme hoche la tête. Il faut faire la paix, il en est d’accord, mais l’Armée y consentira-t-elle ? L’Armée, toujours l’Armée.
De fait, quand, à 11 heures, s’assemble le Conseil suprême de la guerre, Suzuki va droit au but :
— J’estime que nous n’avons pas d’autre solution que d’accepter la Déclaration de Potsdam et je désire connaître votre opinion à ce sujet.
Chacun s’exprime. Suzuki, Togo et Yonai sont à l’unisson : ils souhaitent que l’on ratifie purement et simplement l’ultimatum des Alliés. Avec une réserve cependant : le régime impérial devra être maintenu.
Les trois autres ? Le général Anami, ministre de la Guerre et les deux chefs d’état-major général insistent pour que l’on fasse connaître aux Américains leurs contre-propositions : les forces d’occupation seront réduites au minimum ; les criminels de guerre seront jugés par le Japon et non par l’ennemi ; la démobilisation des soldats japonais s’opérera
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