C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
voient dans la bombe le péché d’une génération entière.
Un philosophe autrichien, Günther Anders, écrit à Eatherly. Celui-ci lui répond. Il faut lire ces lettres qui démontrent – s’il en était besoin – que Claude Eatherly n’est pas fou. Cette correspondance va comporter un effet pour lui bénéfique : au fil des pages qu’il échange avec Anders, on le voit en quelque sorte se transcender. Il veut témoigner, appeler le monde à répudier l’arme absolue. Il supplie les hommes de se rappeler qu’ils sont maîtres de faire sauter leur planète. Ses lettres à Günther Anders sont datées de Waco. Cette fois, il en sortira guéri.
Il publie des articles, on les lit. Il se rend en pèlerinage à Hiroshima. Les Japonais l’accueillent comme un frère retrouvé. Les militants du désarmement se reconnaissent en lui. En 1962, à New York, il participe à une manifestation monstre contre l’arme atomique, aux côtés notamment de Pablo Casals. On lui consacrera plusieurs livres.
Jusqu’au bout, Claude Eatherly clamera qu’il faut renoncer à l’atome en tant que moyen de destruction.
Jusqu’en ce mois de juillet 1978 où, à cinquante-neuf ans, il mourra d’un cancer.
Au-delà de sa propre mort, Claude Eathcrly a voulu militer encore. À sa demande, son corps fut brûlé. Comme tant d’autres corps l’avaient été, treize ans plus tôt.
À Hiroshima.
X
Hiro-Hito : le grand combat
pour la paix
15 août 1945
Le 15 août 1945, peu avant midi, du nord au sud du Japon, de l’est à l’ouest, dans toutes les îles, les sirènes retentissent. À l’instant, dans ce pays de 100 millions d’habitants, la vie se fige. Plus un camion, plus une voiture, plus une bicyclette ne roule. Renvoyés des écoles, les enfants ont rejoint la maison de leurs parents. Dans les usines, auprès des machines réduites au silence, les ouvriers immobiles tendent l’oreille vers les haut-parleurs installés dans les ateliers. Sur la place des villages, les paysans rentrés des champs se pressent autour d’un poste de radio. Beaucoup d’hommes ont revêtu leur costume de mariage et sont au garde-à-vous (134) . Dans les gares, devant les trains arrêtés, les voyageurs s’agglutinent sous d’autres haut-parleurs.
La veille, à 14 h 49, l’agence officielle japonaise Domei a transmis cette dépêche alarmante : Toute dernière nouvelle. On apprend qu’un message impérial acceptant la proclamation de Potsdam va sous peu être radiodiffusé . Le matin même, à 7 h 20, par la voix du speaker Tateno, la Radiodiffusion japonaise (NHK) a confirmé :
— Sa Majesté l’empereur va lancer une proclamation. On pourra l’entendre aujourd’hui à midi. Que tous écoutent avec déférence la voix de l’empereur.
Tateno s’est tu un instant, puis il a répété avec lenteur et solennité :
— Que tous écoutent aujourd’hui à midi, et avec déférence, la voix de l’empereur.
Sur un ton plus habituel, il a enchaîné :
— Le courant électrique sera rétabli à cette occasion dans les districts qui n’en jouissent habituellement pas dans la journée. Des récepteurs et des haut-parleurs seront disposés dans les gares, les bureaux de poste et les administrations aussi bien privées que gouvernementales. Cette diffusion sera effectuée aujourd’hui à midi.
Une dernière fois, Tateno a répété :
— La diffusion aura lieu aujourd’hui à midi.
Jamais les Japonais n’ont entendu la voix de l’empereur-dieu. Une fois, une seule, en 1928, à cause d’un malencontreux incident technique, la radio a diffusé un fragment de l’allocution adressée par l’empereur à des officiers lors d’une revue militaire. Peu de Japonais disposaient alors de la radio, encore dans l’enfance. En 1945, ce n’est plus le cas. L’annonce d’un discours de l’empereur à la radio est ressentie comme blasphématoire et sacrilège. Approche-t-on du moment où il faudra dire adieu au Japon des ancêtres ? Que l’empereur en soit réduit à renier son essence divine et, tout comme un homme vulgaire, à s’humilier en parlant dans un microphone est de toute évidence le signe d’une catastrophe telle que l’on n’en a jamais traversé de pareille.
À 11 h 59, la radio diffuse les dernières mesures du Kimigayo , l’hymne national. Le speaker annonce que Sa Majesté l’empereur du Japon va prendre la parole. Et la voix impériale s’élève :
— À nos bons et loyaux
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