C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
répète ce qu’on lui a enseigné en 1939, quand il s’est engagé dans l’Armée de l’air américaine, à savoir que la liberté et l’humanité peuvent être défendues par la force des armes (133) . Les morts d’Hiroshima hantent toujours ses nuits.
Démobilisé, il a retrouvé Concetta Margetti, la jeune actrice qu’il a épousée, en 1943, après l’avoir rencontrée au cours d’un séjour d’étude en Californie. Pendant des années, il s’efforce de vivre « comme les autres » auprès de sa femme, de ses enfants, dans sa maison et son jardin. Il a trouvé un emploi dans une société pétrolière de Houston. Il se rend chaque jour à son bureau. Il est sérieux, bien noté. Il devient directeur des ventes.
Cela, c’est l’apparence. Des visions d’horreur peuplent ses nuits. Il tente de lutter en absorbant des drinks de plus en plus tassés et de plus en plus nombreux. Sans cesse, il augmente les doses de soporifiques. Rien n’y fait. Hiroshima est toujours là.
Alors, chaque mois, il prélève sur sa paye une liasse de billets de banque. Il les expédie à Hiroshima. Sur l’enveloppe, trois mots : « Pour les victimes. » Dans des lettres aux autorités d’Hiroshima, il accuse ses compatriotes et demande qu’on lui pardonne.
En 1950, le président Truman annonce que les États-Unis vont construire une bombe à hydrogène. Claude Eatherly entre dans un hôtel de New Orléans, demande une chambre, s’y enferme et absorbe plusieurs tubes de somnifères. Il veut mourir. Tout plutôt que le cauchemar perpétuel qui le poursuit. Il survit. Il quitte l’hôpital deux jours plus tard pour se rendre tout droit à l’asile psychiatrique de Waco, où l’on traite les soldats souffrant de troubles psychiques. On le soigne en effet. Quand on le libère, son état ne s’est nullement amélioré.
Pour retrouver le sommeil, il recherche les tâches les plus pénibles, les plus épuisantes. Au moins, le soir venu, pourra-t-il dormir. Quand il y parvient, c’est toujours Hiroshima qu’il revoit.
Le comble, c’est que tous ceux qui ont participé à l’entreprise d’Hiroshima ont été fêtés, décorés. Lui comme les autres. Cette réalité l’accable. Il ne veut plus être un héros. Par un processus que les psychiatres analysent aisément, il décide de détruire, vis-à-vis de lui-même et des autres, l’image du héros.
Au début de l’année 1953, il comparaît devant le tribunal des flagrants délits de La Nouvelle-Orléans. Pour envoyer un chèque à un orphelinat qui prend soin des victimes d’Hiroshima, il en a falsifié le montant, d’ailleurs peu élevé. Même avec les meilleures intentions du monde, on n’a pas le droit de faire un faux : neuf mois de prison.
Il n’accomplit qu’une partie de son temps. On le libère pour bonne conduite. Elle est toujours là, cette image du héros dont il ne veut plus. À Dallas, il attaque un magasin à main armée mais n’emporte rien. L’avocat plaide l’irresponsabilité et annonce que son client va réintégrer l’hôpital de Waco. Non-lieu. Claude Eatherly passe quatre mois à Waco. Reconnu en tant qu’« invalide psychique », on lui accorde une pension mensuelle de 132 dollars que l’on doublera plus tard.
Un matin, sa femme le trouve baignant dans son sang : il s’est sectionné les veines du poignet. Cette fois encore, on le sauve. Concerta crie qu’elle divorcera s’il ne se fait pas soigner de nouveau. Docilement, il revient à Waco. Rapport du docteur McElroy : « Altération prononcée de la personnalité. Le malade a rompu les liens avec la réalité. Angoisse, tensions psychiques, réactions affectives émoussées, hallucinations. »
En utilisant l’insuline, on lui fait subir des « chocs » que l’on veut salutaires : quatre à cinq par semaine. Au bout de six mois, on l’estime guéri, on le renvoie. Libre, il apprend que sa femme a demandé le divorce. Elle l’obtient. Le jugement interdit à Claude Eatherly de voir ses enfants.
Pendant cinq ans, de 1954 à 1959, Claude Eatherly retrouve les tribunaux et les asiles psychiatriques. Il attaque des caissiers sans les voler, il cambriole des bureaux de poste sans rien prendre. Détruire le héros. Toujours.
On commence à parler, dans la presse mondiale, du cas Eatherly. L’ex-major n’est pas seul à se poser des questions à propos d’Hiroshima. Partout dans le monde, des hommes et des femmes ressentent le même remords. Ils
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