C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
violents.
Là, le 27 juillet, à quelle solution va-t-il se rallier ? Logiquement il devrait préconiser une négociation avec les vainqueurs. C’est ce que pensent ses amis qui, néanmoins, soupirent en évoquant le grand âge de ce monument historique et l’esprit d’indécision extrême auquel celui-ci l’a porté. Il déconcerte chacun par des points de vue qui, parfois, changent d’une heure à l’autre. Qui plus est, sa surdité prononcée l’empêche trop souvent de suivre le développement des débats auxquels il préside. Désespérant d’y parvenir, il se laisse aller à un petit somme auquel le prédisposent les nombreuses rasades de saké auxquelles il recourt quotidiennement.
Derrière ses lunettes – il ne les quitte jamais – Togo porte un regard distant sur les autres Grands. Déjà ministre des Affaires étrangères, il a fortement approuvé l’attaque sur Pearl Harbor. Écarté depuis 1942, il n’a accepté de reprendre le même portefeuille qu’après avoir « reçu l’assurance que Suzuki était décidé à terminer au plus tôt la guerre (138) ». Important.
Le regard de Togo rencontre, en face de lui, le visage rond et coloré, la moustache bien lissée et la silhouette trapue du général Anami, ministre de la Guerre. À cinquante-sept ans, son aspect évoque davantage un grand-père débonnaire qu’un militaire jusqu’au-boutiste. Bien qu’il ait commandé, après Pearl Harbor, les armées nippones aux Indes néerlandaises, ses grades doivent moins aux champs de bataille qu’à sa nomination, en 1926, au poste d’aide de camp de l’empereur. Il y a gagné l’amitié du marquis Kido, Conseiller le plus écouté de Hiro-Hito. Comme Togo, Anami n’est ministre que depuis peu. Il s’accroche à un espoir ultime : il existe encore des forces suffisantes pour causer, sur les plages où débarqueront les Américains, de tels ravages que l’envahisseur devra i n fine se montrer moins implacable. En attendant, Anami s’astreint, chaque matin, à tirer à l’arc, sport dont il affirme qu’il l’aide à réfléchir. Adepte du kendo – escrime japonaise – il s’y entraîne régulièrement.
Bien différent apparaît l’amiral Yonai, ministre de la Marine, soixante-cinq ans. Le sourire qui illumine souvent son visage basané adoucit des traits creusés de rides profondes mais ne tempère en rien la haine vigilante que lui portent beaucoup de militaires. Yonai est un pacifiste-né, tare inexpiable à leurs yeux. Premier ministre en 1940, il s’est opposé aux alliances allemande et italienne préconisées avec tant de virulence par l’Armée. En 1941, dénonçant les risques d’une attaque décidée selon lui à la légère, il s’est vu traité de pro-américain et on l’a mis à la retraite d’office. Il n’a repris sa place au Conseil des ministres que lorsque les défaites lui ont donné raison.
Crâne rasé, lèvres épaisses, l’air hargneux, le général Umezu, chef d’état-major général de l’Armée, quoique conscient d’une défaite proche, se proclame résolu à lancer l’Armée dans un combat sans merci. De son côté, l’amiral Toyoda, chef d’état-major général de la Marine, nationaliste inconditionnel, s’oppose fondamentalement à toute solution dont aurait à souffrir l’honneur japonais.
La séance à peine ouverte, le Premier ministre Suzuki déclare qu’il a inscrit la Déclaration de Potsdam à l’ordre du jour. Il demande à Togo d’en faire connaître le libellé au Conseil. Courageusement, le ministre des Affaires étrangères livre son avis : il juge impossible de ne pas répondre positivement aux exigences alliées. Il souligne l’importance, à ses yeux, d’une des phrases du texte : l’expression « capitulation sans condition du Japon » a été remplacée par « capitulation sans condition des forces années ». Il faut voir là, selon Togo, une évolution significative dont la portée ne saurait être minimisée. En aucun cas, on ne saurait considérer la déclaration comme nulle et non avenue.
On l’a écouté avec politesse et en silence. Néanmoins, à la table du Conseil, les opposants se contiennent difficilement. Sur les Six, trois au moins refusent la seule idée d’une capitulation. Pressé, contesté, assiégé par eux, Togo consent à prendre contact avec Moscou et à solliciter une médiation de l’URSS.
Le Conseil suprême est censé apporter ses avis au gouvernement, ce qui
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