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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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apparaît d’autant moins complexe que Suzuki préside l’un et l’autre. Quand, le même jour, le Premier ministre réunit le cabinet, il choisit de rester dans le vague : le gouvernement n’acceptera pas la Déclaration de Potsdam mais ne la rejettera pas non plus ! Attitude d’autant plus étrange que, dans une conférence de presse, Suzuki, commentant la déclaration, va s’en affirmer tout à coup l’adversaire implacable :
    — Nous allons purement et simplement la mokusatsu  !
    Il faut savoir que le mot mokusatsu signifie – traduction littérale – « tuer par le silence ». Les journaux japonais en déduisent que le gouvernement ressent tant de mépris à l’égard de l’ultimatum présenté par les Alliés qu’il ne veut même pas prendre la peine de le rejeter. Quant à la presse américaine, elle va faire un sort à ce propos intempestif : si le Japon manifeste un tel dédain pour la déclaration, il faut d’urgence lui en rappeler les termes et faire prendre conscience à son gouvernement de ce qu’il risquerait : en cas de refus, « le Japon s’exposerait à une rapide et totale destruction ».
    Le gouvernement japonais choisit de ne pas répondre.
     
    Lundi 6 août, 8 h 15 du matin.
    Après onze jours d’un silence si lourd que nul ne le comprendra ni ne l’excusera, 164 000 des habitants d’Hiroshima deviennent les victimes de la première bombe atomique utilisée dans l’histoire de l’humanité. Sur la nature de l’arme, d’emblée une déclaration du président Truman lève tous les doutes : « Nous avons jeté deux milliards de dollars dans le plus grand coup de dés scientifique de l’Histoire et nous avons gagné. Si les Japonais n’acceptent pas nos conditions, ils doivent s’attendre à voir le ciel déverser sur eux un déluge dévastateur comme on n’en a jamais vu sur la terre…»
     
    Mardi 7 août.
    Ce n’est pourtant pas le jour du cataclysme atomique mais le lendemain que le Conseil des ministres japonais se réunit. Togo donne lecture de la terrifiante révélation de Truman.
    Ici, le lecteur s’attend à voir le Conseil, unanime, décider à l’instant de demander la paix. Il n ’ en est rien . Le gouvernement choisit l’expectative. Cette « étrange léthargie », dont fait état le rapport de la Société japonaise de recherches sur la guerre du Pacifique, n’a pas été troublée par l’explosion de la première bombe atomique . C’est une évidence que l’historien doit se borner à constater.
    Face à l’irréelle obstination des responsables, Togo refuse de s’incliner. Il se rend auprès de l’empereur.
     
    Hiro-Hito a quarante-quatre ans. Il est petit, porte lunettes. Ses manières « douces et réservées » s’accompagnent « d’une extrême timidité ». William Craig insiste sur son « menton fuyant et sa voix de fausset ». Il arrive qu’un tic nerveux crispe sa joue gauche et se double de légers haussements d’épaules. Pour ses millions de sujets, Hiro-Hito n’en descend pas moins directement de la déesse du Soleil, Amaterasu. Il est lui-même dieu.
    Au fait, est-il bien sûr d’être dieu ? Adolescent, il s’est violemment disputé avec son professeur d’histoire : cette descendance lui paraissait « biologiquement impossible ». La Cour, au comble de l’inquiétude, a chargé le vieil oncle Saïonsi de « convertir » Hiro-Hito. Malheureusement, l’oncle ne croyait guère non plus aux origines divines de sa famille. Il a simplement conseillé à son neveu de ne choquer personne, de ne plus mettre en doute le dogme devant qui que ce fut. Liberté lui restera de penser tout ce qu’il voudra. Règle que désormais Hiro-Hito s’est appliqué à suivre consciencieusement.
    Le jour de Noël 1926, Hiro-Hito est devenu le 124 e empereur du Japon. Alors a commencé pour lui la vie cloîtrée, feutrée qui, de toute éternité, est dévolue à un souverain japonais. Il vit derrière les murs d’un palais protégé des bruits de l’existence ordinaire et à l’écart des conflits réservés aux simples humains. Politiquement, il se contente d’entériner les décisions du gouvernement. Il ne dispose même pas du droit de veto. Accepter : tel est le destin de ce dieu incarné.
    Or si Hiro-Hito a semblé admettre que les militaires fassent main basse sur le pouvoir, si, muet, il les a laissés jeter le pays dans la guerre, il y a plusieurs mois qu’il n’accepte plus cette marche à

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