C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
une cigarette et parfois même avec une lampe à souder. On pratiquait aussi le supplice de l’électricité ; un fil était attaché aux chevilles, pendant qu’un second fil était promené sur les points les plus sensibles du corps. On entaillait la plante des pieds au rasoir, et on obligeait ensuite le blessé à marcher sur du sel. Des morceaux de coton imbibés d’essence étaient placés entre les doigts de pied et enflammés (42) . »
Lutter contre la Résistance, la décapiter si possible – mais n’oublier jamais de se remplir les poches : tel est le programme du Service. Les bilans établis par le méticuleux Pierre Bonny et retrouvés à la Libération sont révélateurs. Pour la seule période d’avril à décembre 1941, le Service a saisi, au cours de perquisitions, « 142 millions (dont 17 millions et demi en livres anglaises et 9 millions en dollars) — 17 lingots d’or (dont 2 se sont révélés faux, cuivre doré) — 502 pièces en or — argenterie, cuivre, terre cuite, porcelaine et autres matériaux — bijoux (dont 7 clips, 3 diadèmes en or, 12 broches incrustées de diamants) — bagues — bracelets — pendants d’oreille — alliances — 9 colliers — meubles anciens — objets d’art — fauteuils de style anciens — une commode Louis XV dont la marqueterie est en bon état — étoffes diverses — 2,7 kilos de tickets d’alimentation — 159 kilos de vêtements pour enfants ». Au cours du même laps de temps, le Service a arrêté « 247 israélites d’origine française ou étrangère, opérations faites à la requête du SD de l’avenue Foch ; 54 terroristes – gaullistes, communistes, personnes appartenant à des organisations anti-allemandes ».
On met à sac les domiciles de ceux que l’on arrête. Les Allemands ne connaissent qu’une faible partie des fonds et objets ramassés car Lafont en conserve par-devers lui un large pourcentage. Après l’enquête, l’inspecteur Chénevier déclarera :
— Il est impossible de connaître avec précision les sommes fantastiques qui ont rempli les caisses de la rue Lauriston. Les chiffres les plus incroyables ont été cités : on a parlé de plusieurs milliards, ce qui, à l’époque, représentait quelque chose d’inimaginable. Cet argent n’a pas été dilapidé totalement par Lafont et ses hommes. À la Libération, il restait encore de très fortes sommes. Elles ont été « récupérées ». Mais comment, dans quelles conditions, par qui ?
Extraordinaire ambiance que celle du 93, rue Lauriston. Les bureaux où l’on aligne des comptes coexistent avec les caves où l’on torture. Sur l’ordre du Patron – qui a obtenu la nationalité allemande et le grade de capitaine de la Wehrmacht –, les truands s’appliquent à « tenir un langage convenable ». Tout manquement à cette nouvelle règle est immédiatement sanctionné par Lafont : une paire de gifles suivie d’une forte amende.
Partout, des fleurs. Une forêt de fleurs. Lafont les adore, en particulier les orchidées et les dahlias. Il créera même un « prix du dahlia » doté de 100 000 francs. Un ancien raconte : « Des fleurs, il y en avait de toutes les couleurs, roses, rouges, jaune pâle… Une femme de ménage se trouvait spécialement chargée de leur entretien. C’était d’ailleurs sa seule occupation. » Si les fleurs ne sont pas renouvelées, Lafont pique de terribles crises de colère. On distribue les fleurs de la veille aux concierges des immeubles voisins.
Lafont s’habille maintenant chez les grands tailleurs. Son chauffeur lui ouvre la portière d’une Bentley blanche. Dans l’hôtel particulier qu’il a fait réquisitionner à son usage à Neuilly, avenue de Madrid, il convie des personnalités allemandes et françaises, des gens du monde, des personnalités politiques : des ministres, un préfet, des conseillers municipaux, des journalistes. Sur ces gens qui le craignent tout en lui faisant la cour, Lafont jette un regard méprisant.
À son procès, on prouvera qu’il a sauvé la vie de résistants, de Juifs. Un coup de téléphone aux Allemands suffit : « Ici Lafont. Faites libérer M. X…» On libérait M. X… Pour ces interventions, il demande de l’argent, parfois beaucoup. Dans d’autres cas : « Envoyez-moi des fleurs. » Les services qu’il rend le valorisent à ses propres yeux. Jouir de la gratitude de gens qu’il n’aurait pas même osé aborder
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