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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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doux écœurement. Avez-vous autant de femmes à m’offrir ?
    Il lève sa bouteille de champagne, boit encore :
    — Aimez-vous l’argent, colonel Ricard ? Moi j’aime le posséder, le pétrir de mes mains, le jeter par les fenêtres… Aimez-vous la puissance, la gloire, le prestige, colonel Ricard ?… Moi, j’aime dominer, humilier, vaincre, faire courber les têtes, voir des hommes ramper devant moi, m’implorer, me supplier, demander grâce, devenir fourbes, lâches, obséquieux, serviles, répugnants de bassesse.
    Il a reposé la bouteille sur la table. Il regarde bien en face le résistant. Les yeux dans les yeux :
    — Vous ne me donnerez jamais, comme je le veux, autant de femmes, autant d’argent, autant de puissance. Et vous voulez que j’abandonne tout cela, que je me lance dans l’aventure, que je revienne à une vie d’errance, de clandestinité, de danger ? Non, colonel Ricard, je n’ai aucune de vos raisons pour accepter tant de sacrifices  (44)  !
     
    Dans les derniers mois de l’Occupation, les brigades de Lafont sillonnent la France, pourchassent partout les nids de résistance, pillent, volent, assassinent. On recrute dans le milieu un groupe opérationnel composé de Nord-Africains qui répandent la mort dans les maquis. Plusieurs fois, Lafont participe aux opérations, montrant un remarquable mépris du danger. Voit-il venir la fin ? Espère-t-il une balle libératrice ?
    Après le débarquement, les rats quittent le navire : plusieurs de ses complices l’abandonnent. L’un d’eux, Estebéteguy, dit « Adrien le Basque », croit trouver une filière pour passer en Amérique du Sud et finira dans la chaudière du docteur Petiot. En juillet 1944, trois autres, Ricord, Ménard et Herbert s’en vont en emportant un véritable trésor que Lafont leur a remis : bijoux, œuvres d’art, espèces. Une Citroën noire les dépose en Espagne.
    En mars 1948, dans la banlieue est de New York, on retrouvera le cadavre de Ménard : assassiné. En janvier 1949, Herbert reparaît : exécuté d’une rafale de mitraillette dans une boîte de Mexico. De Ricord, seul survivant, on reparlera à propos d’un réseau d’acheminement de stupéfiants. Si le trésor impur de Lafont a été réinvesti dans la drogue, il faut croire décidément à une logique de l’histoire.
    Du fabuleux butin réuni par Lafont, d’autres ont profité qui auront pignon sur rue. Les initiés, trente ans après la Libération, murmuraient le nom d’une affaire française, toujours florissante, dont 90 % des capitaux avaient été apportés par Lafont.
     
    Le Patron ne partira pas, comme tant d’autres, dans les fourgons allemands. Dans les derniers jours de l’Occupation, ses employeurs le lui ont proposé, inquiets – à juste titre – de l’audace d’un commando de résistants qui, sous l’autorité du commandant Ponsard, avait envahi et mis à sac le quartier général de la rue Lauriston. Méprisant, Lafont a refusé :
    — En Allemagne je serais plus en danger qu’ici  (45) .
    A-t-il réellement voulu rester en France ? Le fait qu’il ait, avec Bonny, chargé d’essence une camionnette et une automobile et qu’ils y aient entassé leurs familles semble indiquer que les tentait une destination plus lointaine : l’Espagne.
    M. Léon Fournillon, auteur et témoin de ce qui s’est déroulé en Seine-et-Marne, m’a écrit : « La vérité est simple. En juillet 1944, un petit groupe de résistants du mouvement OCM (Organisation civile et militaire), connu dans la région sous l’appellation Corps francs 501, décidait de réquisitionner au nom du général de Gaulle les deux véhicules qui lui avaient été signalés, à savoir une camionnette Citroën T 23 et une Delahaye type sport. La réquisition a eu lieu, armes au poing, un matin sur les 8 heures, en présence de Bonny et Lafont.
    « Il y eut quelques petits incidents, mais ces messieurs, avec femmes et je crois enfants, ne purent prendre le large, cloués sur place par manque de véhicules. Je dois vous dire en passant que les pleins et les 400 litres d’essence chargés dans la camionnette furent d’un grand secours pour nous aider à faire la tâche que nous nous étions fixée.
    « Pour les âmes chagrines qui pourraient s’étonner que des résistants authentiques n’aient pas demandé des comptes à ces messieurs de la Gestapo, je dois dire, dût notre modestie en souffrir, que nous ignorions absolument à

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