C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
qui, aussitôt, font rapport à Reile. Le ressentiment du colonel n’est pas éteint, mais la perspective de capturer Lambrecht efface tout. Lafont obtient des armes, des uniformes allemands, des Ausweiss et – naturellement – beaucoup d’argent. Il a posé ses conditions : aucun Allemand n’interviendra. Lafont veut monter et réussir l’affaire avec ses hommes, et personne d’autre. L’Abwehr acquiesce.
Qui sont, à cette époque, les hommes de Lafont ? Il s’agit de Robert dit « le Fantassin », de Hirbes dit « la Rigole » – deux figures notoires du milieu – et d’Estebéteguy, un tueur surnommé « Adrien la main froide ». On loue une voiture, on file sur Toulouse. À l’adresse indiquée, on trouve Lambrecht en train de se raser. On l’assomme, on le ligote, on s’empare de ses documents, on le jette dans le coffre de la voiture qui démarre pour Bordeaux. Où l’on dépose le prisonnier au siège de la Gestapo.
Maintenant, il faut que Lambrecht parle. « Laissez-moi faire », dit Lafont aux Allemands. C’est lui, avec ses trois « assesseurs », qui conduit l’interrogatoire.
— Lambrecht, acceptez-vous de parler sans être maltraité ?
— Je ne veux pas vous aider, répond calmement Lambrecht.
Depuis qu’ils sont face à face, Lafont brandit ostensiblement une cravache. À toute volée, il en cingle trois fois le visage de Lambrecht, y creusant des sillons violacés d’où le sang perle. Lafont hurle :
— Tu vas parler !
Curieusement, la voix de cet athlète est trop haute, perchée. Une voix de fausset. Lambrecht ne parle pas. « L’interrogatoire » va durer deux jours et deux nuits. Lafont ne s’accorde pas une minute de repos, pas un instant de sommeil. À la fin, ses propres bras lui refusent tout service, ses hommes doivent le relayer. Réduit à l’état de loque sanglante, Lambrecht craque. Il donne tous les détails qu’on attendait de lui. L’organisation antinazie qu’il dirige a des antennes à Berlin, Bruxelles, Paris, Anvers, Amsterdam. Grâce aux aveux de Lambrecht, les services allemands arrêteront plus de six cents personnes. Six cents ! Une « réussite » totale.
Sur le bureau du colonel Reile, chef de l’Abwehr à Paris, un télégramme : officiellement le RHSA (Bureau central de Sécurité du Reich) lui témoigne sa satisfaction pour l’arrestation de Lambrecht et lui adresse ses vives félicitations.
Comment ne pas imaginer que la joie du colonel Reile a dû, ce jour-là, se nuancer d’amertume ? Il sait trop que cette réussite dont on le glorifie n’appartient qu’à Lafont. Or le télégramme de ses supérieurs la lui attribue exclusivement.
Comment Reile se refuserait-il à jouer le jeu ? Foin de la rigueur apprise à l’École militaire. Pour le plus grand bien de l’Allemagne hitlérienne, le temps des truands est arrivé. Non seulement Reile va basculer dans le camp des Radecke et des Brandl mais il va mettre les bouchées doubles.
C’est au One-two-two , « maison » parisienne célèbre, qu’il tiendra à fêter Lafont. Dans cette capitale qui, en octobre 1940, meurt littéralement de faim, il offre à « Monsieur Henri » ainsi qu’il l’appelle – le nom lui restera – un dîner somptueux. Ironie du sort, on y a convié ce capitaine Schaeffer qui, sur l’ordre de Reile, devait arrêter Lafont et qui doit, cette fois, lui donner l’accolade.
L’un des enquêteurs chargés après la Libération d’instruire l’affaire Lafont expliquera :
— On s’est longuement interrogé sur le pouvoir extraordinaire dont Lafont a joui auprès des Allemands. L’affaire Lambrecht a beaucoup compté.
Surtout, les employeurs de Monsieur Henri voient tout à coup prendre corps le plan qui, de longue date, a été élaboré : « Entraîner le maximum de Français dans la collaboration, qui sera d’abord économique puis, par la force des choses, policière. » On estimait à Berlin qu’il faudrait du temps pour mettre en œuvre un si vaste programme. Lafont vient de démontrer qu’il est possible de brûler les étapes.
Galvanisé, Monsieur Henri jette son dévolu sur un appartement de l’avenue Pierre-l er -de-Serbie. Très vite, les locaux se révèlent trop exigus. Quand Lafont prend pour quartier général un hôtel particulier, 93, rue Lauriston, il ne cache pas que les vastes sous-sols ont été pour beaucoup dans son choix. On pourra y recevoir des prisonniers et les
Weitere Kostenlose Bücher