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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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dix ans plus tôt lui est un plaisir qu’il savoure. Il se plaît à recruter ses maîtresses dans l’aristocratie. La comtesse Natacha Kolnikov est sa grande passion de l’année 1941. Lui succèdent Geneviève de P…, puis la marquise d’A… dont le règne sera le plus long et qui l’initiera aux joies de l’équitation. Il achète deux pur-sang. Au Bois ou dans un manège de Neuilly, il monte Séville, tandis que la marquise monte Belle Cocotte. Une fois par semaine, il offre un plantureux repas aux clochards : souvenir du temps où il était lui-même à la rue ?
    Depuis longtemps il a perdu de vue ses enfants. Il les retrouve. Pierre a seize ans, Henriette, quinze. Il leur donne une gouvernante qui n’est autre que l’une de ses maîtresses, Anne-Marie Duflos. À sa demande expresse, elle les fait inscrire dans des institutions religieuses.
    Pour meubler l’hôtel de Neuilly, les antiquaires ont sélectionné leurs trésors les plus rares. L’un de ses convives s’est souvenu : « Lafont était un hôte délicieux, attentif, et ses réceptions toujours brillantes. Un homme liant, chaleureux, d’une drôlerie irrésistible. Et puis généreux, ne refusant jamais de venir en aide à un ami. Toujours prêt à rendre service, prodigue et fastueux. Un homme étonnant, d’une imagination débordante, maître dans l’art du suspense et du rebondissement. »
    Les hôtes involontaires des caves de la rue Lauriston jugeaient aussi que Lafont était un maître « dans l’art du suspense et du rebondissement ».
     
    À mesure que croît l’audace des réseaux de résistance, le Service durcit son action et augmente ses effectifs. Pratiquement, tout le milieu est maintenant mis à contribution. À la fin de l’Occupation, on estime que le nombre des agents de la Gestapo française s’élève à 34 000. Chiffre effarant, accablant. Au vrai, les Allemands ont atteint leur but : gangrener la société française.
    Les ramifications de l’organisation Lafont s’étendent à travers tout le pays. Le chef de la Gestapo en France occupée, le SS-Standartenführer Knochen, a donné tout son sens à cette affolante activité : « Il faut que l’on se souvienne que toute la police allemande en France occupée n’a jamais compté plus de 2 000 à 2 400 hommes (et femmes), y compris les chauffeurs et les téléphonistes, et que, si la police française ne nous avait pas aidés, jamais nous autres, à 2 000 ou 2 500, nous n’aurions pu faire quoi que ce soit  (43) . » Un véritable certificat de « bons services rendus » délivré à Lafont et ses amis.
    Pour la Résistance, Lafont est devenu l’ennemi numéro un, l’homme à abattre. Plusieurs fois, on tente de l’assassiner. Il est trop bien protégé. Alors, au cours de l’été 1943, certains résistants décident de hasarder une étrange partie. On propose une rencontre avec Lafont. Il accepte. Le 17 août 1943, à 21 heures, au cabaret Le Chapiteau , un homme se présente à lui :
    — Lieutenant-colonel Ricard.
    L’homme de l’ombre va droit au but : Lafont a joué la mauvaise carte, la défaite allemande est certaine, Lafont a commis des crimes mais on sait qu’il a aussi sauvé des Français. Il est temps encore. On connaît ses qualités d’organisateur. Pourquoi ne les mettrait-il pas au service de la Résistance ?
    — Aidez-nous, aidez-nous… Ne liez pas définitivement votre destin à un navire prêt de sombrer… Moi, lieutenant-colonel Ricard, je vous offre la possibilité de vous racheter. Il est encore temps.
    Pendant la conversation, les deux hommes boivent du champagne. Lafont a semblé d’abord attentif, puis ému. En définitive, il refuse. Il saisit la bouteille de champagne, boit au goulot :
    — Colonel Ricard, les routes que l’on avait tracées pour moi ne débouchent pas sur l’esplanade des Invalides et les herbes qui poussent sur leurs bords sont de mauvaises herbes. Alors j’ai dû me frayer des chemins à travers les ronces, dans la rocaille. Et ces chemins m’ont souvent mené vers les centrales. Ne me demandez pas d’être habillé de beaux sentiments. Pourquoi irais-je me déguiser chez vous ?
    Il boit de nouveau, goulûment.
    — Aimez-vous les femmes, colonel Ricard ? Moi je les aime blondes, brunes, rousses, châtain clair, lisses, potelées, minces ; je les aime parfumées, maquillées, sages, démentes, douces, agressives. Je les ai toutes, jusqu’à satiété, jusqu’au

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