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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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qui nous avions affaire. Nous n’avons été que les instruments aveugles de la justice  (46) . »
    Rien de plus vrai : Lafont et Bonny, avec leurs familles, se sont arrêtés dans une ferme près de Bazoches, en Seine-et-Marne. Joanovici, le trop célèbre « chiffonnier milliardaire », a « indiqué » leur refuge à la police française. Pendant l’Occupation, grâce à ses trafics avec les occupants, Joanovici avait gagné plusieurs milliards de l’époque. Il était juif. Le sachant, qui pouvait croire à une idéologie nazie ?
    La dénonciation de Lafont et Bonny va permettre à Joanovici – par ailleurs mécène du réseau « Honneur de la Police » – de parachever son dédouanement. Le 30 août 1944, des membres des Forces françaises de l’Intérieur et des policiers investissent la ferme où s’abritent les maîtres de la rue Lauriston. Ceux-ci n’opposent aucune résistance.
     
    Le procès de la Gestapo française, rapidement instruit – les crimes sont flagrants –, commence, le 1 er décembre 1944, devant la cour de justice. Il dure dix jours. Bonny discute, ergote, se plaint, implore. Lafont, lui, ne se départ pas d’un grand calme, quelque chose qui ressemble à de la dignité. De tous les actes reprochés à ses complices, il déclare assumer la responsabilité. Il arrive que le président s’étonne :
    — Mais, Lafont, vous n’étiez pas là à ce moment !
    — Ça ne fait rien, monsieur le président, je prends sur moi puisque j’étais le chef.
    Pour Lafont comme pour Bonny et plusieurs de leurs lieutenants, le même verdict : la mort.
    Avant de leur faire regagner leur dernière cellule, on conduit Lafont et Bonny, menottes aux mains, dans cette pièce que l’on appelle « la souricière ». Un journaliste les y a précédés qui doit comparaître, ce jour-là, devant son juge d’instruction. Il comprend très vite à qui il a affaire. Il m’a raconté :
    — Lafont était calme, méprisant. Bonny pleurait. Il répétait : « Mais enfin, Henri, c’est injuste. Moi, je n’ai fait qu’obéir. En somme, je n’étais que ton secrétaire. » Lafont a haussé les épaules et lancé à l’adresse de Bonny : « Espèce de c…, c’est parce que tu étais mon secrétaire que tu t’habillais en vert, avec des épaulettes d’argent ? » Alors, Bonny s’est tu. Quelques minutes plus tard, on a introduit dans la pièce un gamin de quatorze ans. Il venait d’une maison de correction de province pour être opéré à Paris. Lafont l’a regardé, lui a demandé pourquoi il était là. « Parce que j’ai volé. J’suis en maison jusqu’à ma majorité. » Lafont a froncé les sourcils. Il s’est penché vers le gosse comme s’il voulait vraiment le persuader : « Écoute, mon petit gars. Moi aussi, à ton âge, j’ai volé. Moi aussi, j’ai été en maison. Et tu vois où j’en suis. Ce qui m’attend, c’est douze balles dans la peau. Alors, fais pas comme moi. Arrête. » Le gosse a baissé la tête, il a dit : « Moi, j’voudrais bien. Mais c’est plus possible. Tous les jours, les grands me passent dessus. L’année prochaine, c’est moi qui passerai sur les petits. Pour moi, c’est foutu. » Lafont a regardé droit devant lui, comme s’il n’y avait plus de mur. Il a regardé loin, très loin. Il a ajouté seulement : « Dommage  (47) … »
     
    Le 26 décembre 1944, Lafont et Bonny marchent vers le peloton d’exécution. Lafont refuse le secours de l’aumônier. À l’adresse de M e  Floriot, il lance :
    — On devrait moderniser et, plutôt qu’un curé, vous envoyer, par exemple, une belle nana, histoire de garder de la vie un bon souvenir.
    Au moment où il va monter dans le fourgon cellulaire, Maître Drieu, la collaboratrice de M e  Floriot, lui demande :
    — Comment vous sentez-vous ?
    — Fort bien. Vous savez, madame, je ne regrette rien. Quatre années au milieu des orchidées, des dahlias et des Bentley, ça paye, non ? J’ai vécu dix fois plus vite, c’est tout.
    En compagnie de deux de ses hommes, Engel et Clavié, il est de la première fournée. Jusqu’au dernier moment, il tire sur sa cigarette. Il se laisse attacher au peloton d’exécution mais refuse qu’on lui bande les yeux :
    — Je veux boire jusqu’au dernier rayon de soleil.
    À 9 h 50, les balles le frappent en plein visage. Le long du poteau blanc, il glisse vers le sol.

IV

Le SS qui hurlait
contre le génocide.
    19

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