C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
religion.
Or, le 14 juillet 1938, on l’arrête. Pourquoi ?
Gerstein est soupçonné d’un comportement nuisible « aux intérêts du peuple et de l’État ». On l’accuse « de haute trahison en vue de préparer une restauration de la monarchie ». Certes, le père de Gerstein vit dans le rêve d’une restauration de la dynastie exilée mais, jusque-là, rien n’a indiqué que le fils partageait de tels regrets. En fait, Kurt s’est contenté de fréquenter de jeunes monarchistes dont six ont été arrêtés en même temps que lui. La police établit qu’ils ont entretenu des correspondances et pris des contacts avec le député monarchiste Wulle : « En ce qui concerne l’accusé n° 2 [Gerstein], le soupçon se limite simplement à une connaissance de ces faits. »
Pour cette peccadille – mais existe-t-il des peccadilles sous le joug d’Adolf Hitler ? – Gerstein va connaître la prison de Stuttgart et le camp de concentration de Welzheim.
À peine emprisonné, il sombre dans une dépression profonde. À sa femme accourue à la prison, il s’avoue « à bout de forces ». Ce que confirme son père en écrivant au président du tribunal du parti à Munich : « Ce nouveau coup a provoqué en lui un effondrement physique et psychique. Le médecin a constaté une affection cardiaque qui, espère-t-il, est uniquement de nature nerveuse. » C’est à ce point qu’un agent de la Gestapo le prend en pitié. À la suite de son intervention, Kurt est libéré six semaines et demie après son arrestation.
Il est libre mais douloureusement atteint. Il n’a toujours pas d’emploi. Tout son argent a été dépensé pour l’édition de brochures. Il avait commencé des études de médecine, il ne peut songer à les achever. Son Église, elle-même persécutée, ne peut plus l’aider. En 1937, la Gestapo a procédé en son sein à huit cent quatre arrestations. Le pasteur Niemöller a été jeté dans un camp de concentration.
En octobre 1938, espérant rétablir sa santé, Kurt Gerstein part pour Rhodes. Pendant ce voyage, il apprend que l’on a de nouveau perquisitionné chez lui. Pas de doute : il est toujours sous l’œil de la Gestapo. Il se pose de graves questions : doit-il rentrer chez lui ou passer en Suisse ? Il a un oncle en Amérique. Ira-t-il le rejoindre ?
Fanfares, cortèges, acclamations, un cri scandé jusqu’à l’épuisement par des foules immenses : Sieg heil ! Sieg heil ! Hitler quasiment divinisé par des militants regroupés en masses géométriques dans la nuit de Nuremberg où les projecteurs cernent à la fois la silhouette du petit homme à la moustache et les bannières marquées de croix gammées qui flottent au vent du nouveau culte.
L’Allemagne délire – et comment ne pas comprendre les Allemands ? À Pâques, le Führer n’a fait qu’une bouchée de l’Autriche consentante. Il vient d’avaler le pays des Sudètes et, en capitulant devant lui à Munich, l’Europe – Chamberlain, Daladier, Mussolini – lui a offert un sacre.
Les lettres de M. Gerstein père à son fils – qui en définitive s’est décidé à rentrer – montrent qu’il ne réagit pas différemment des autres : « Quelle grande époque nous vivons !… Notre grand et bien-aimé Führer… Je me range à présent sans la moindre réserve sous la bannière à la croix gammée et reconnais qu’elle est une nécessité pour le nouveau Reich…» Kurt lui répond par une lettre qui semble avoir été destinée à être montrée aux autorités du parti : « Depuis 1936, j’ai considérablement modifié mon cercle d’amis pour compter comme tels uniquement ceux qui approuvaient fondamentalement le national-socialisme…» C’est une autre lettre de lui à son père qui nous semble refléter plus exactement son état d’esprit. Elle est de peu postérieure à la trop fameuse Nuit de Cristal qui a ouvert la chasse aux Juifs sur tout le territoire allemand. Il écrit : « Je ne peux malheureusement pas partager ton opinion quant à l’évolution prochaine de la situation. » Il veut donc se consacrer uniquement à son métier et retourner dans les mines. « Je ne peux cependant pas fermer les yeux sur ces choses…»
L’Allemagne arme. Les usines tournent à plein. Partout on demande des ingénieurs. Il y a maintenant deux ans que Kurt est sans emploi. Il a trente-quatre ans.
Le 22 juin 1939, le tribunal du parti transforme son exclusion en
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