C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
congédiement . Nuance, mais essentielle. Kurt trouve aussitôt une situation dans une mine de la Wintershall AG où sa famille possède des intérêts. La guerre éclate, Hitler écrase la Pologne. Au printemps 1940, la France est envahie et vaincue en six semaines. Gerstein demande et obtient sa mutation dans la région de Leipzig. Est-ce parce que l’Allemagne tout entière balance maintenant, à l’égard du Führer, entre la gratitude et l’amour que, en août 1940, Gerstein demande à être réintégré dans le parti ? Ou bien parce qu’il pense toujours – pour savoir, pour agir – qu’il vaut mieux être dedans que dehors ?
Il travaille beaucoup. Chaque jour il se lève à 5 heures du matin. À 6 heures, il est à l’usine qu’il ne quittera qu’à 19 ou 20 heures. Il accorde une heure à sa famille, se couche à 21 heures. La Jeunesse hitlérienne ne mésestime pas ses qualités d’animateur et de formateur. Elle lui propose d’écrire sous son égide des ouvrages pour les adolescents. Ignore-t-elle qu’il a eu plusieurs fois maille à partir avec la Gestapo ? Gerstein accepte sans soulever d’objection de rencontrer les responsables de l’organisation. Au bas de l’une de ses lettres, nous lisons, de sa main : Heil Hitler !
Peut-être serons-nous moins déconcertés si nous nous rappelons qu’une sorte d’accord tacite vient d’être conclu entre le parti et cette Église confessante qui demeure, pour Gerstein, un guide. Le parti a accepté de relâcher son étreinte, l’Église confessante a mis une sourdine à son opposition. Raison de ce pas franchi l’un vers l’autre : la guerre.
Hitler aurait-il renoncé à poursuivre le chemin si clairement annoncé depuis Mein Kampf ? Qui pourrait le croire ? Dès septembre 1939, une décision secrète a été édictée : les malades mentaux incurables seront mis à mort. Inutiles à l’État, pouvant eux-mêmes procréer des descendants dont l’existence porterait atteinte à la pureté de la race, ils doivent disparaître. Six centres d’exécution sont entrés en service. De janvier 1940 à août 1941, 70 273 malades mentaux passent de vie à trépas. Par une lettre circulaire – condensé d’hypocrisie, – les familles apprennent que telle personne est décédée pour cause de « faiblesse cardiaque » ou de « pneumonie » (53) .
Malgré le secret absolu exigé par les autorités, on ne peut cacher longtemps l’existence d’une telle euthanasie de masse. Dans un mémorandum soumis à la chancellerie du Reich, le pasteur Braune s’emporte : « Jusqu’où ira-t-on dans l’extermination des vies indignes ?… Où se trouve la limite ? Qui est anormal, asocial, quels sont les cas désespérés ? »
La Gestapo arrête le pasteur Braune. L’émotion s’affirme si forte que, trois mois plus tard, on est contraint de le remettre en liberté. Ce qui est loin de calmer les esprits. Le 3 août 1941, à l’église Saint-Lamberti, Mgr von Galen, évêque de Munster, prononce un sermon retentissant :
« C’est une conception effroyable qui prétend justifier le meurtre d’innocents et permet la mise à mort d’invalides incapables de travailler, d’infirmes, de malades incurables, de vieillards atteints de sénilité. » Face à cette doctrine, les évêques allemands déclarent : « Sous aucun prétexte, l’homme n’a le droit de tuer un innocent, sauf en cas de guerre et de légitime défense (54) … »
Or Kurt Gerstein va se trouver directement concerné par cette horreur : l’une de ses belles-sœurs a été internée dans un asile psychiatrique. La famille apprend son décès inopiné et reçoit l’urne contenant les cendres de la malheureuse. Le 20 février 1941, au cimetière de Sarrebruck, Kurt Gerstein assiste à l’inhumation. Il trouve une famille consternée mais ignorant tout des circonstances dans lesquelles est morte la jeune femme. « Si étonnés que nous fussions, nous ne soupçonnions rien, a raconté Karl Gerstein. Ce fut mon frère Kurt qui, sur le chemin du retour, après l’enterrement, nous éclaira ma femme et moi. »
— Et ils tuent de sang-froid ! s’exclame Kurt.
Comme par un enchaînement logique, il ajoute :
— Je vais m’engager dans les Waffen-SS.
Stupeur du frère et de la belle-sœur. Alors que Kurt vient de dénoncer un crime, il se déclare prêt à faire partie du corps – doctrinal et militaire – qui sert de bras tutélaire à ce
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