C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
La fougue de Richardson balaye tout :
— On n’a même pas le droit d’hésiter !
Ronin s’incline.
C’est Richardson qui rédige l’ordre. Rien de plus concis. Sink sub : « Coulez le sous-marin. »
Harden a reçu le message. Il fait virer le B.24. Il dira qu’il a espéré ne pas retrouver le sous-marin. Pas de chance : le voilà, avec ses quatre canots en remorque, droit devant lui.
Pire : les naufragés agitent des mouchoirs. Pourtant, Harden doit obéir. Une idée lui vient tout à coup. Ils sont, sur le B.24, cinq officiers. Pourquoi ne pas les faire voter ? Si un seul, déclare-t-il, estime qu’il faut bombarder, on bombardera. Pour toute réponse, le lieutenant Keller bondit vers son poste. Alea jacta est .
Keller largue ses bombes quelques secondes avant que l’on survole le sous-marin. Nous connaissons le résultat. À la seconde attaque, il est persuadé d’avoir coulé l’U-boat.
On rentre à Ascension.
Dönitz tient entre ses mains le dernier message d’Hartenstein. Le 17 septembre, à 1 h 40 du matin, tous les sous-marins du secteur Laconia reçoivent de celui que l’on appelle souvent le « Lion » cette réaction furieuse : « Le Tommy est un porc, la sûreté du sous-marin ne doit en aucune circonstance être risquée. Aucun risque à prendre, sans égard, même celui d’arrêter le sauvetage. Penser qu’une protection des sous-marins par l’ennemi est complètement hors de cause. » À 5 h 50, Dönitz ordonne de transférer les naufragés dans les canots. Seuls les Italiens seront gardés à bord en attendant l’arrivée des Français auxquels ils seront remis.
En fin d’après-midi, l’amiral ira plus loin. Très loin. L’ordre que, dans sa fureur, il promulgue interdit dorénavant aux bâtiments allemands, et en toute circonstance, de se porter au secours de naufragés éventuels :
« 1) Toute tentative de sauvetage des équipages des bateaux coulés en mer ou des canots surnageants ou de remise d’aplomb des canots renversés ou la fourniture de vivres et d’eau potable est proscrite. Les sauvetages sont contraires aux conditions de base de la guerre qui est de détruire les bâtiments et les équipages ennemis.
« 2) Il faut être dur, penser que l’ennemi ne prend aucune précaution pour bombarder nos villes allemandes avec femmes et enfants. »
L’ordre – Triton Null – va coûter des milliers de vies humaines. Après la guerre, l’amiral aurait pu le payer cher si l’on n’avait, au procès de Nuremberg, tenu compte de la compassion que, de prime abord, il avait manifestée pour les naufragés du Laconia (86) .
Le même jour, à 6 h 52, la Gloire recueille les passagers d’un premier canot. À 14 heures, elle rejoint l’ U 507 qui lui signale des chaloupes à 40 ou 50 milles. Successivement elle va accueillir, de Schacht, ses Italiens et, de Würdemann, ses Italiens et ses Britanniques.
Pendant des heures, les opérations de recherche se poursuivront. La Gloire et l’ Annamite se rapprocheront le 18 septembre à 9 h 25 et procéderont à des transbordements.
Comme prévu, le Dumont-d’Urville arrivera très tard. Il pourra prendre à son bord 42 Italiens que lui confiera le Cappellini .
Le bilan de la tragédie ?
Au moment du naufrage, le Laconia transportait 2 729 passagers et membres de l’équipage. La Gloire va ramener à Dakar 1 039 survivants et l’ Annamite 42. Quatre officiers italiens sont restés prisonniers, deux sur l’ U 507 , deux sur le Cappellini qui accueille également six naufragés de même nationalité. Deux canots rejoindront la côte africaine avec vingt rescapés. Nous aboutirions à un total de 1 111 survivants si, parmi eux, plusieurs – blessés trop grièvement ou ayant atteint la limite de leurs forces – n’avaient succombé au cours des jours suivants.
En simple équité, il reste à s’interroger sur le destin réservé aux sous-mariniers allemands qui les ont sauvés.
L’ U 507 , commandant Schacht, a été coulé par un avion, le 13 janvier 1943, au large des côtes du Brésil.
L’ U 156 , commandant Hartenstein, a été coulé par un avion, le 5 mars 1943, au large de la Barbade.
L’ U 506 , commandant Würdemann, a été coulé par un avion, le 12 septembre 1943, dans le golfe de Gascogne.
VI
Jean Moulin : le piège de Caluire
21 juin 1943
À Lyon, on les connaît bien, ces voitures allemandes : quelle qu’en soit la marque, elles
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