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C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue

Titel: C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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sont toujours peintes en noir. Ce jour-là, 21 juin 1943, l’officier de paix Curva en voit passer plusieurs qui, sans hâte apparente, roulent en convoi vers Caluire.
    Caluire ? Au nord du quartier de la Croix-Rousse, une petite cité littéralement collée à Lyon. De part et d’autre de son hôtel de ville et des arbres de la place Castellane, elle étale ses paisibles demeures et ses jardins clos.
    L’officier de paix Curva s’étonne. Les voitures allemandes semblent chercher quelque chose – ou quelqu’un. Sautant sur sa bicyclette, Curva décide de les suivre. Impasse de Verchère, à Caluire, le convoi s’arrête. Un Allemand descend de la voiture de tête. Curva l’entend demander à un passant la maison du docteur Dugoujon. Le passant répond que le docteur n’habite plus là. Son cabinet a été transféré place Castellane.
    Les voitures allemandes repartent, toujours à faible allure. Elles s’immobilisent devant une simple maison de deux étages aux murs couverts de lierre. Planté de quelques arbres et fermé par une grille, un petit jardin la sépare de la rue.
    Il est 14 h 45. Des portières des voitures, brutalement poussées, jaillissent des hommes armés. Sur le pas de la porte, le docteur Dugoujon raccompagne une cliente. Les hommes l’entourent, le bousculent. L’un d’eux lui glisse à l’oreille :
    — Police allemande !
    Le désespoir se lit sur le visage du médecin. À l’instant, chez lui, vient d’arriver le délégué du général de Gaulle en France.
    Il s’appelle Jean Moulin.
     
    « Républicaine » : ainsi pouvait-on désigner la famille au sein de laquelle, le 20 juin 1899, est né Jean Moulin. Son père, franc-maçon et conseiller général de l’Hérault, présidait la section locale de la Ligue des Droits de l’homme. À l’issue de ses études de droit, le fils a choisi ce que l’on appelait la « préfectorale ». Intermède qui compte : Pierre Cot, ministre de l’Air dans les gouvernements Daladier, Sarraut et Léon Blum, a fait de lui son chef de cabinet.
    Quand Pierre Cot quitte le gouvernement, Moulin est nommé préfet de l’Aveyron. L’un de ses collaborateurs le montre « d’un naturel froid et calme, très méridional dans son allure physique, très peu dans son parler, son maintien, son attitude : pondéré, posé, poli, discret mais assez distant ; toujours impeccablement habillé et de manières parfaites  (87)  ».
    Volontiers il rappelle qu’il est « de ceux qui pensent que la République ne doit pas renier ses origines ». Il proclame ouvertement son désir de « se pencher sur ceux qui peinent, à l’usine comme à la terre ». Il ne cache pas qu’il fera obstacle à ceux qui voudraient priver les travailleurs du « bénéfice d’améliorations sociales tant attendues et si justement méritées ».
    Avec Aristide Briand, il a pensé que la politique de rapprochement avec l’Allemagne éliminerait les risques de guerre. Depuis la prise de pouvoir par Hitler, il est convaincu que les démocraties doivent s’armer pour faire face au péril nazi. Les idées de Hitler sont à l’opposé de tout ce qu’il croit, de tout ce qu’il aime. Donc il faut barrer la route à Hitler. Quand la guerre éclate, il est préfet d’Eure-et-Loir. Il demande aussitôt à être mobilisé. Son ministre l’estime plus utile à Chartres. Il vient d’avoir quarante ans.
    Le 17 juin 1940, des officiers allemands font irruption dans sa préfecture et le somment de les suivre. Dans une cour de ferme, ils lui montrent un amoncellement de cadavres : des femmes et des enfants, la plupart portant d’affreuses blessures, certains horriblement mutilés. Les Allemands soutiennent qu’il s’agit de victimes de sévices infligés par des soldats sénégalais. Ils tendent à Moulin un rapport rédigé dans ce sens. On saura plus tard qu’il s’agit de gens tués dans un bombardement.
    — Signez !
    Calmement, mais fermement, Moulin refuse d’entériner des accusations dont on ne lui fournit aucune preuve. On le menace. Il refuse toujours. Les soldats vêtus de vert l’entourent, le bousculent, le frappent à coups de poing puis de crosse. Rien n’y fait. Cela dure sept heures. Moulin n’a toujours pas signé. Dans une pièce obscure, on le jette sur le cadavre déchiqueté d’une femme. Il est 2 heures du matin.
    Pendant combien de temps est-il resté – désespéré – sur le sol de ce réduit ? Sa main rencontre des

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