C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
Moyen-Orient. Les appareils de tout modèle ayant atterri à Ascension se comptent par milliers. Certains jours, trois cents atterrissent ou décollent.
L’importance de l’île ne cessant de s’accroître, on y installe 1 700 officiers et hommes de troupes. En juillet 1942, un jeune capitaine, R.C. Richardson III, vient, sous l’autorité du colonel Ronin, y prendre le commandement des deux escadrilles de chasse du 1 er Composite Squadron. Sa mission : protéger l’île contre toute attaque ou bombardement ennemi et escorter, le cas échéant, les lourds appareils en transit qui éprouvent des difficultés à repérer l’île : cela arrive trop souvent, certains se perdent corps et biens.
La guerre sous-marine fait rage. Le rêve de Richardson et de son équipe est de repérer l’un de ces fameux U-boat dont on dit qu’ils ratissent l’océan. Ah ! l’arroser de quelques bombes et le couler ! Le drame de ces exilés est que les soutes de leurs appareils regorgent de bombes mais que personne, à Ascension, n’a jamais eu l’occasion de les larguer, ni même de manœuvrer le dispositif de lancement. L’incompétence des jeunes pilotes n’a d’égale que leur soif, toujours déçue, de combattre.
Le 15 septembre 1942, à 12 h 10, le poste de radio, tenu dans l’île par les Anglais, reçoit un message annonçant à la fois le torpillage du Laconia et l’envoi sur les lieux du naufrage de deux navires marchands britanniques. L’information est suivie d’une invite sans ambiguïté : « Envoyez un avion pour protéger navires et couvrir l’opération. »
Sur-le-champ, le colonel Ronin invite Richardson à envoyer un avion sur place. La distance pose malheureusement des problèmes aux B.25 dont on dispose, mais Ronin a pensé à un B.24 arrivé de Natal et qui, quelques jours plus tôt, a atterri en flammes. On achève de le réparer. Le lieutenant James D. Harden, chef-pilote, tue le temps en jouant au poker avec son navigateur, Jérôme Perlman, son bombardier, Edgar Keller, ses mitrailleurs, Charley et Buck.
Grande est la surprise de Harden lorsqu’il apprend qu’il devra, le lendemain, voler vers une position qu’on lui désignera pour protéger des navires marchands à la recherche de naufragés. Harden tâche de discuter, rappelle qu’il doit absolument rejoindre son groupe en Afrique. Peine perdue : c’est un ordre.
Après un vol d’essai satisfaisant, le B.24 s’envole au matin du 16 septembre, cap nord-est. À peine la position rejointe, on cherche les navires marchands. Rien. Tout le monde écarquille les yeux. Le premier, le mitrailleur Buck aperçoit quelque chose. On approche : c’est un sous-marin. Allemand sans aucun doute. Qu’est-ce qu’il fait là ? Le plus étrange est qu’il tient en remorque quatre embarcations !
Harden perd de l’altitude, distingue, dans les canots, des têtes levées vers lui, des gestes de supplication : les naufragés, bien sûr, dont lui a parlé le colonel. Pourquoi a-t-on étalé une croix rouge à l’avant de l’U-boat ? Immense, la perplexité de Harden.
Et voici que des signaux optiques partent du sous-marin. Personne, sur le B.24, ne connaît assez le morse pour les comprendre. Cela va trop vite ! Harden demande au radio du bord de prendre contact avec l’Allemand. Aucun résultat.
Harden voit alors le lieutenant Keller se lever avec une détermination sans équivoque et se mettre en devoir de gagner l’arrière. Un instant après, il appelle Harden par l’intercom :
— Dois-je bombarder ?
Terrifié, Harden pense aux naufragés :
— Non !
Keller insiste : il est sûr d’atteindre ce salaud de sous-marin.
— Non ! crie encore Harden.
Il est visible que l’autre y tient. Péniblement, Harden le convainc de s’abstenir. Pour plus de sûreté, il fait demi-tour et s’éloigne de cette cible trop tentante. Afin d’informer Ronin et Richardson, il veut pouvoir se mettre à portée de radio. Quand il y sera, il demandera des ordres. La balle sera dans le camp de l’Air Force.
À la question de Harden – que dois-je faire ? – c’est maintenant au colonel Ronin et au capitaine Richardson de répondre. Richardson n’a que vingt-quatre ans. Il n’hésite même pas : impossible de laisser un sous-marin ennemi continuer à envoyer par le fond du tonnage allié, des marins alliés. Une seule solution : le couler. Ronin semble avoir été plus sensible à la présence des naufragés.
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