C’était le XXe siècle T.3. La guerre absolue
avec lui le fascisme. Lui seul les a sortis de l’obscurité, lui seul a fait d’eux ce qu’ils sont devenus. Face à l’inévitable défaite, ils l’accablent pour n’avoir proposé aucune alternative et – pire – pour avoir perdu à la fois audace et intelligence des faits.
Chacun sait que l’on va soumettre au Grand Conseil un ordre du jour qu’a préparé Dino Grandi, l’un des premiers fidèles, le compagnon emblématique des origines. On sait aussi qu’il s’agit d’une motion de défiance. Quand Grandi prend la parole, tous les regards se portent vers lui. Il ne redoute pas de formuler ce que tant d’autres pensent : à l’est, où le front a cédé, rien ne semble plus pouvoir arrêter la ruée des armées russes. Les Alliés occidentaux ont pris pied solidement en Sicile et tout porte à croire qu’ils fouleront bientôt la terre d’Italie. Qui pourrait espérer encore une victoire de l’Axe ?
Grandi reprend l’historique du mouvement, affirme que Hitler a « corrompu l’esprit du fascisme italien » et que « le système du pouvoir personnel, ayant duré trop longtemps, a dégénéré, modifié le caractère du Duce, détruit et tué le fascisme ». Il ose lancer :
— Ce n’est pas le Mussolini des uniformes, des manifestations et des assemblées chorégraphiques, en qui personne ne croit, que nous voulons !
La solution qu’il préconise : que Mussolini s’efface et laisse au roi le premier rôle. Qu’il redevienne simplement le chef d’un parti politique ! Grandi termine par une apostrophe qu’il a voulue tragique :
— Nous sommes tous liés au même rocher, Ô Duce ! Ecoute le cri d’angoisse qui jaillit du cœur de tes fidèles ; donne-nous le moyen de partager avec toi toutes les responsabilités. Vaincre unis ou, unis, s’engloutir !
On s’attend à l’une de ces répliques foudroyantes auxquelles Mussolini a habitué ses amis – et ses ennemis. Rien. Fixement, il regarde la table. À l’adresse de son voisin, Bottai murmure :
— Le Duce n’a plus l’air d’un homme, mais du fantôme d’un homme déjà passé dans l’au-delà.
Le coup de pied de l’âne va être donné par le comte Ciano, ancien ministre des Affaires étrangères et surtout gendre de Mussolini. On sait que, depuis longtemps, il critique la politique de son beau-père. Au cours des derniers jours, il a rencontré nombre de ceux qui affichent leur opposition au Duce. Là, publiquement, aura-t-il l’audace de s’en prendre au père d’Edda, sa femme ?
Il le fait.
Quand il se rassied, pas le moindre commentaire de la part du Duce. La nuit s’avance. La discussion devient confuse. Après une suspension de séance, le débat reprend et c’est, entre les deux camps – défenseurs et adversaires de Mussolini –, la haine qui déferle. Il est maintenant 2 heures et demie du matin. Comme sortant d’un rêve, Mussolini déclare :
— Les débats ont été longs et fatigants. Trois motions ont été présentées à l’assemblée. Celle de Grandi ayant la priorité, le secrétaire général du parti va la faire mettre aux voix nominalement.
Scorza se lève et hurle :
— Je vote contre !
Aussitôt il fait l’appel. Ceux qui approuvent la motion de défiance devront dire oui .
— Suardo ?
— Je m’abstiens.
— De Bono ?
— Oui.
— De Vecchi ?
— Oui.
— Grandi ?
— Oui.
Cela va très vite. Les oui dominent nettement. Le tour vient du gendre du Duce.
— Ciano ?
— Oui.
Quand Scorza compte les réponses, il dénombre 19 voix favorables à l’ordre du jour Grandi, 7 votes défavorables et une abstention.
Mussolini rassemble ses papiers. D’une voix neutre, il lance :
— La motion Grandi est acceptée. Ce qui annule les autres. La séance est levée.
Péniblement, il se soulève et, d’un pas lourd, il se dirige vers la porte. Scorza, gardien du rite, lance :
— Saluto al Duce !
À l’instant dressés, les hiérarques, même ceux qui ont voté contre, répondent :
— À noi !
Mussolini lève une main agacée. On dirait qu’il veut éloigner de lui quelque chose d’invisible. Pas un bruit, pas un mot. Chacun retient sa respiration.
La porte s’est refermée. Le règne du fascisme italien est clos.
Dans la nuit romaine, la voiture de Mussolini roule vers la villa Torlonia, sa résidence. Les rues sont désertes. Bientôt, l’aube poindra.
Rachele, sa femme, l’attend. Les honneurs n’ont
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