C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
Arlette Guez n’oubliera pas : « Une boîte de conserve de deux kilos lancée avec force, cela peut faire du mal et les soldats anglais ont d’abord reculé pour se regrouper à l’arrière de leur navire, tandis que leurs premières tentatives étaient toutes repoussées. Ça sifflait, ça sifflait, m’a raconté mon mari, et l’ Exodus faisait sans arrêt mugir sa sirène comme s’il appelait au secours. Mais qui appeler au secours en pleine mer ? Qui pouvait venir ? »
L’instant est venu d’employer « l’arme secrète ». Par le tuyau circulaire percé de trous, la vapeur brûlante jaillit. Deux marins anglais sont brûlés. Les destroyers s’éloignent de quelques mètres :
— Ils reculent !
Ce n’est qu’un répit : l’arme secrète n’existe déjà plus. Plus rien ne sort du tuyau car il est crevé ! D’ailleurs, si les destroyers se sont éloignés, c’est pour prendre de l’élan et mieux foncer sur l’ Exodus . De fait, chacun de son côté, ils l’éperonnent. Les superstructures de bois volent en éclat. Les barbelés se déchirent. Les fragiles défenses se brisent. De l’un des destroyers, une passerelle s’abat sur l’ Exodus . Un commando d’une vingtaine de Marines saute sur le pont supérieur de l’ Exodus et, en se frayant un passage à coups de matraque, se rue en avant.
C’est le début d’une bataille qui, commencée à 3 heures du matin, durera jusqu’à 6. Oui, trois heures. Trois heures d’affrontements impitoyables, de férocité, d’héroïsme. On jette à l’eau tous les Anglais dont on peut s’emparer. C’est ce qui peut leur arriver de mieux, car ils portent une lampe rouge à la ceinture qui clignote dès qu’ils touchent la mer. Aussitôt, leurs camarades les repêchent.
Sans cesse, les assaillants repartent à l’assaut. Chaque fois, on les repousse. Les Juifs s’emparent de prisonniers. Des femmes font la chaîne, un mouchoir sur la bouche pour se protéger des gaz lacrymogènes. Elles passent des boîtes de conserves aux tireurs.
Comprenons bien que cette bataille impitoyable se déroule entre trois navires non point immobiles mais qui font route. Imaginons ces jets de mazout à forte pression que les Anglais ne cessent de diriger sur le pont de l’ Exodus . Quand on se bat, on glisse sur un sol devenu gluant et on tombe. En fond sonore, la sirène de l ’Exodus continue de mugir, les haut-parleurs anglais appellent toujours à la reddition. Dans l’inextricable mêlée, les corps ensanglantés s’abattent, les gazés titubent, les crânes éclatent sous les matraques.
Régulièrement, l’un des deux destroyers s’éloigne – pour foncer de nouveau sur l’ Exodus . Sur un parcours de deux milles, les destroyers britanniques vont éperonner sept fois l’ Exodus ! Des voix d’eau s’ouvrent, l’eau de mer se déverse entre les ponts. Les passagers terrifiés hurlent et s’enfuient dans les coursives, l’eau leur monte jusqu’aux genoux.
Sur le pont, les défenseurs de l’ Exodus tiennent encore de leur mieux. Voilà ce que ne peuvent supporter davantage les Britanniques. Tout à coup, l’un d’eux appuie sur la détente de sa mitraillette. Les balles crépitent. Des Juifs tombent. On comptera de nombreux blessés. Et six morts, dont un jeune garçon de quinze ans. Arlette Guez : « C’était une chose abominablement triste que la fin de ces hommes qui avaient résisté à tout, survécu aux camps, pour venir se faire faucher, bêtement et inutilement, par des mitraillettes anglaises à quelques milles marins de leur but, la Palestine. »
D’autres rafales. La terreur qui monte. Impossible de soigner les blessés. Pour Yossi, pour Ike, une certitude : c’est fini. Fini .
D’après ce qu’ont raconté les gens de l’ Exodus , le pire moment fut celui où les Anglais lancèrent des grenades dans les ponts inférieurs. Ce qui, selon toute probabilité, a décidé Yossi et le capitaine Ike à capituler. Adieu l’espoir. On baisse les bras.
Il fait plein jour, maintenant. À 6 heures du matin, le 18 juillet 1947, une chaloupe placée sous le signe de la Croix-Rouge vient se ranger le long de l’ Exodus . Les Britanniques prennent le contrôle de l’ex- President Warfield .
À petite vitesse, le vieux vapeur n’en poursuit pas moins sa marche vers Haïfa. À bord, les Anglais se multiplient, exquis de politesse, offrant même des bonbons aux enfants. À l’infirmerie, les blessés achèvent de
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