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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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mourir. Sur tout le bateau, une chape de désespérance s’est abattue.
    Qui a crié le premier ? Nul ne l’a su. Chacun, sur l’ Exodus , a compris : tout au loin, là, devant la proue, se dessine la rive tant espérée. La Terre promise. Les larmes commencent à couler. Tous, hommes, femmes et enfants entonnent le chant de leur libération : la Hatikvah .
     
    À 16 h 30, on accoste à Haïfa. Partout, des militaires en tenue de combat ; des policiers palestiniens en casquette noire ; des soldats de la Légion arabe en casque à pointe. Des barbelés, des grilles et, au-delà de ces grilles seulement, les Juifs d’Haïfa qui chantent, crient, agitent les bras.
    Sur le pont du navire mutilé mais qui arbore toujours, à ses deux mâts, le pavillon sioniste bleu et blanc, les passagers à bout de forces entonnent de nouveau, au garde-à-vous, la Hatikvah . Ils peuvent descendre à terre, ces passagers. Dès que l’un d’eux foule le sol, il s’incline et embrasse la terre de Palestine.
    Déjà, trois bateaux, des liberty-ships , attendent. Pour les passagers de l’ Exodus , la découverte de la Palestine ne sera qu’une brève rencontre. Le temps d’être dévêtu brutalement, d’être aspergé de DDT et l’on vous pousse vers les passerelles du Runnymede Park, de l’ Ocean Vigour , et de l ’Empire Rival  : les trop célèbres bateaux-cages, ainsi dénommés pour la simple raison que l’on a prévu, sur les ponts, des espaces grillagés pour accueillir ceux que l’on repousse de Palestine. À côté d’eux, l’ Exodus prend figure de palais flottant. Sur les liberty-ships qui vont reprendre la mer, on manque de couchettes. Une grande partie des passagers devra dormir à même le sol. Trop peu d’aménagements sanitaires. Très vite, le sol de ces « lieux » va être souillé. On pataugera dans les immondices. On vivra dans la pestilence.
    On vogue maintenant vers l’ouest. À l’intérieur des navires, on manque d’air jusqu’à l’asphyxie. Ecrasés de soleil, ceux que l’on a entassés sur le pont dans les cages risquent l’insolation. Très vite, le ravitaillement commence à manquer. Seule la chaleur toujours écrasante fait oublier la faim. D’ailleurs, sur ces bateaux anglais, on sert chaque jour, à 5 heures, une eau colorée baptisée thé. Après cela, allez vous plaindre !
    Et puis, un jour, une côte : la France. On jette l’ancre à Port-de-Bouc. Le gouvernement français a fait savoir qu’il donnerait asile à tous les Juifs de l’ Exodus. Personne ne veut débarquer. Débarquer, c’est s’incliner devant les Anglais et leur force aveugle.
    Sur 4 500 passagers, il en descend 70. Pour la plupart, des malades accompagnés de leurs proches. Arlette Guez, par exemple, que sa grossesse rend faible et souffrante. Roger, son mari, ne veut pas quitter l’ Exodus . Elle lui répète : « Fais comme tu veux, mais moi je veux d’abord mettre mon enfant au monde. On verra plus tard pour la Palestine. Pour l’instant, je veux descendre. »
    Les autres ? Ils ne veulent rien savoir. Pendant trois semaines, ils vont demeurer sur les mêmes bateaux de métal brûlant, dans la même rade écrasée de chaleur, vivant le même martyre.
    François-Jean Armorin, grand journaliste, les a vus dans leurs bateaux-cages. Il a rencontré « une vision de galériens sans rames, un faux pont de forçats en route pour l’exil, un ponton ancré au large pour l’expiation… Je l’ai retrouvée, cette odeur atroce, solide à couper au couteau, magma de coaltar et d’urine surie, odeur d’hommes qui souffrent… Leurs gestes sont lents et mesurés, mus avec ce rythme d’économie appris par tous les concentrationnaires…»
    La vérité ? Ces hommes et ces femmes ne ressemblent plus à ceux qui se sont embarqués à Sète. Ce qu’ils ont acquis, c’est la fierté. Le monde entier parle d’eux. La presse de tous les continents consacre ses gros titres à leur odyssée. En Grande-Bretagne, l’embarras grandit, on ne sait que faire d’eux. Finalement, on se résout à les ramener en Allemagne. Sur la terre où tant d’entre eux ont été immolés. C’est toujours dans des camps que l’on prévoit de les accueillir.
    On contourne l’Espagne, on longe les côtes de France, de Belgique, de Hollande et l’on jette l’ancre à Hambourg. Là va se livrer le dernier combat. Aucun de ces Juifs ne veut, de son plein gré, poser le pied sur la terre d’Allemagne. Il faut

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