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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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répertoriés, s’entassent des êtres humains qui n’existent pour Eichmann qu’en tant que numéros. Les couples qui hurlent parce qu’on les sépare, les mères qui supplient qu’on leur laisse leurs enfants, les petits qui sanglotent parce qu’ils ne comprennent pas : tout cela Eichmann veut l’ignorer. Il doit transporter tant de Juifs par jour. Il le fait et en est fier. Interrogé à Jérusalem par le magistrat instructeur, il décrira avec une sorte d’orgueil la fabuleuse machine qu’il a mise en œuvre. Quand le juge s’étonnera, lui faisant observer que les gens qu’il transportait ainsi allaient à une mort certaine, Eichmann, presque sans se troubler, répondra :
    — Oui, oui… probablement.
    Quand il lui faudra – le plus rarement possible – assister à des exécutions en masse, il détestera ce contact avec la réalité. Il en reviendra écœuré, physiquement malade. Il retrouvera sa joie de vivre en se remettant à ses organigrammes. Un jour, à Bordeaux, on ne parvient pas à remplir entièrement le train prévu. Prévenu aussitôt, Eichmann hurle, trépigne : c’est une trahison, un gaspillage inouï ! Les trains d’Eichmann doivent toujours rouler pleins . Terrorisées, les autorités allemandes de Bordeaux jurent que cela ne se reproduira plus. Jamais !
    Et voici le « chef-d’œuvre » d’Eichmann : en 1944, il va pratiquement vider entièrement la Hongrie de ses Juifs. À Budapest, se livrant à un labeur de titan, il achemine en quelques semaines plus de 4 millions de Juifs hongrois vers les camps. Il a droit au titre que lui a décerné Simon Wiesenthal : le Grand Exterminateur.
     
    Avec cela, bon mari, bon père. De son épouse Vera Liebl, une Tchèque, il a eu trois garçons : Klaus, Dieter et Horst. Vera Liebl sait seulement que son mari travaille beaucoup, qu’il est rarement à la maison, qu’il voyage. Elle voit en lui un fonctionnaire sérieux, ponctuel. Elle le donne en exemple à ses fils. Pour lui-même, il faut reconnaître qu’Eichmann n’a jamais rien réclamé. Il n’est pas de ces dignitaires nazis – à commencer par Goering – qui ont réalisé d’immenses fortunes par leurs exactions, leurs trafics ou les pots-de-vin qu’ils exigent et reçoivent. Toujours, Eichmann s’est contenté de sa solde d’officier SS. Ce qui fait que, chez les Eichmann, on est plutôt à l’aise, mais que l’on ne roule pas sur l’or.
    À mesure que les années passent, les amis d’Eichmann remarquent seulement qu’il boit davantage. Surtout du cognac. Et qu’il fume beaucoup trop. À Budapest l’exemplaire Eichmann se laisse même aller à nouer une liaison avec une jeune femme de la noblesse.
    À Budapest, il déclare devant témoins :
    — Cent morts, c’est une catastrophe. Cinq millions, c’est une statistique.
    Et puis, un jour, l’empire de Hitler s’effondre. On calcule que 5 à 6 millions de Juifs ont péri. Ce qui amènera Eichmann à cette réflexion, recueillie par un Hollandais nazi, Willem Sassen :
    — Pour être tout à fait franc avec vous, je vous avouerai que si nous avions tué tout le monde, les 10 300 000 Juifs, je serais heureux et je dirais : « Mission accomplie : l’ennemi n’est plus. »
    Il soupirera :
    — Beaucoup de Juifs ont survécu…
    Il se posait des questions : sans doute n’avait-il pas travaillé assez. Les hommes et les événements avaient élevé trop d’obstacles sur sa route.
    Ces incroyables confidences – recueillies sur soixante-seize bandes de magnétophone qui ont été conservées – il les a exprimées en 1957, alors que la guerre était terminée depuis douze ans. Pour échapper à ceux qui le poursuivaient, il avait mis l’Océan entre eux et lui. Il vivait paisiblement en Argentine, où Vera et ses fils l’avaient rejoint. Cela aurait pu durer longtemps encore si, à la fin de 1957 – l’année même où Eichmann narrait ses souvenirs à Willem Sassen – un message en provenance d’Allemagne n’était parvenu à Jérusalem : Adolf Eichmann était vivant. On connaissait son adresse en Argentine.
     
    En 1957, le chef du Mossad israélien (Bureau central des renseignements et de la sûreté) s’appelle Isser Harel. Venu de Russie, il a émigré en Palestine en 1929. Il a participé à toutes les luttes d’Israël pour son indépendance et, devenu l’ami intime du Premier ministre Ben Gourion, celui-ci l’a nommé chef exécutif des Services secrets. Des missions

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