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C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy

Titel: C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Decaux
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sentinelles qui campent sur le toit, les parachutistes qui patrouillent dans les cours et, dehors, dominant la foule du haut de leurs chevaux, les hommes de la police montée.
    La vie de l’homme qui a mis au point la plus prodigieuse machine à anéantir les Juifs qu’ait enregistrée l’histoire est tout entière à la merci de Juifs.
    L’appariteur donne de la voix. En hébreu, il annonce : Bath Hamishpath (la Cour). « Ces mots nous firent lever d’un bond », écrit Hannah Arendt qui, au milieu des journalistes, représente le très chic New Yorker   (91) . Mû par un réflexe immédiat né de l’implacable discipline qui a rythmé ses années, Eichmann se dresse en même temps et, tourné vers les trois hommes vêtus de noir qui viennent d’entrer, se fige au garde-à-vous. Un témoin croira même discerner, dans le regard qu’il porte sur ces hommes en toge, quelque chose qui ressemble à de la vénération  (92) . Les juges sont venus s’asseoir sur l’estrade, derrière une longue table. Tous les trois sont nés Allemands : le président Landau, ses assesseurs Halévy et Raveh. Avec un peu moins de chance, ils auraient dû prendre place dans l’un de ces milliers de trains acheminés par Adolf Eichmann vers les camps où la mort était scientifiquement calculée.
    Au lieu d’avoir été réduits en cendres, comme quelques millions d’autres, ils sont là, face à cet accusé à l’allure obséquieuse. Le président Landau porte les écouteurs à ses oreilles, se penche vers le triple micro posé devant lui, ouvre son dossier. Le procès Eichmann commence.
     
    Seize ans plus tôt, en 1944, à Budapest, à ce Joël Brand qui, éperdument, tentait d’échanger des camions contre la vie de Juifs et lui demandait s’il n’éprouvait pas de craintes pour l’avenir, Eichmann avait répliqué :
    — Nous perdrons peut-être la guerre. Mais moi et ma famille, vous ne nous aurez pas. J’ai pris mes précautions.
    On a jugé à Nuremberg les grands criminels de guerre. Les plus coupables sont morts pendus. Pendant ce procès, quand il a été question de la « solution finale » du problème juif, un nom est revenu, comme un leitmotiv : Eichmann. Mais on n’a pas arrêté Eichmann. On ne l’a pas jugé à Nuremberg : il avait disparu.
    L’homme de l’ombre qui a marqué de son zèle effrayant l’organisation de la mort scientifique, n’est jamais sorti de son humilité. Il reconnaîtra à son procès avoir été présent à la conférence de Wannsee mais « assis à côté de la dactylographe ». Certes l’inspirateur numéro un fut Hitler  (93) . Goering, Himmler et Heydrich ont mis en œuvre, au plus haut niveau, le projet démoniaque. Que, dans la mémoire collective, le nom d’Eichmann ait fini par se mêler à ceux de ces derniers et devenir presque aussi célèbre qu’eux a dû laisser stupéfait le principal intéressé. Ce vedettariat imprévisible a dû heurter sa modestie originelle.
    Pendant seize années, nul n’a su si Eichmann était vivant ou mort. De temps à autre, on reparlait de lui. On affirmait qu’il avait été vu en Autriche, en Italie, ou même en Égypte. D’autres se déclaraient convaincus qu’il s’était, comme bien d’autres nazis, réfugié en Amérique du Sud. Sur Eichmann, le silence s’est établi et, peu à peu, l’oubli.
    On conçoit que les quarante-deux volumes du procès de Nuremberg aient rebuté le grand public mais des récits très proches de l’holocauste ont été diffusés : dès 1945, Vassili Grossmann publie L’Enfer de Treblinka . En 1947, c’est Sans armes et sans bagages de Louise Alcan puis De Drancy à Auschwitz , de Georges Wellers dont on a pu affirmer qu’il était « l’ouvrage le plus documenté, le plus précis ». On ne peut que donner raison à Annette Wieviorka quand elle constate que déjà, avec ces récits « auxquels s’ajoutent ceux traduits pendant la même période du polonais et du hongrois », le Français de 1947 possède « toutes les données pour se constituer un savoir du génocide  (94)  ». À cette première vague, on peut ajouter les douze volumes publiés en 1948 : Les Juifs en Europe, 1939-1945 et les ouvrages fondamentaux de Léon Poliakov, de Gérald Reitlinger. Annie Kriegel a lucidement commenté : « Si autant de témoins se mirent à écrire avec autant de fièvre, c’est qu’ils furent très vite persuadés qu’il n’y avait pas, dans l’immédiat,

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