C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
qu’on lui confiera, Harel sera personnellement responsable auprès de Ben Gourion.
Walter Eytan, chef de cabinet du ministre israélien des Affaires étrangères, en appelant Harel à son bureau de Tel-Aviv – un jour de la fin de 1957 – va donner son élan à l’une des plus incroyables opérations qu’ait conçues un service secret : la récupération d’Eichmann.
C’est du Dr Shinar, chef de la Mission des réparations israélienne en Allemagne fédérale, que Walter Eytan tient l’information selon laquelle Eichmann est en vie en Argentine. L’homme qui lui a communiqué ce renseignement capital n’est autre que le Dr Fritz Bauer, procureur de l’État de Hesse (République fédérale allemande) : l’un des plus brillants juristes allemands.
Lorsque j’ai décidé, en 1982, de raconter à la télévision l’enlèvement d’Eichmann, on le savait (100) . Isser Harel l’avait confié à des journalistes et évoqué dans ses souvenirs (101) . La révélation que le même Harel a bien voulu me livrer n’en a paru que plus surprenante. Rompant un silence de vingt années, Isser Harel m’a fait connaître que ce n’est pas de sa seule initiative – comme on l’avait toujours cru – que le Dr Fritz Bauer avait renseigné les Israéliens. Dès qu’il s’est trouvé en possession d’un renseignement dont il avait pu contrôler le sérieux, le Dr Fritz Bauer s’est adressé au gouvernement de l’État de Hesse et a sollicité des instructions quant au développement que celui-ci envisagerait de donner à l’affaire. Il ne fallait pas se leurrer : si l’homme que l’on désignait comme étant Eichmann était identifié de façon certaine, le gouvernement de l’Allemagne fédérale aurait à demander son extradition à l’Argentine. Dès qu’elle serait obtenue, Eichmann serait ramené en Allemagne. On aurait à le juger. Il fallait espérer que la peine qui lui serait infligée correspondrait à l’immensité de ses crimes.
Ici commence l’extraordinaire. Après réflexion, le président du gouvernement de l’État de Hesse, M. Gerhardt August Zinn, a fait savoir au Dr Fritz Bauer que le mieux, si l’on voulait vraiment qu’Eichmann fût puni, serait d’informer les Israéliens .
Réfléchissons. Une telle option, concernant une affaire de cette envergure, et dont le caractère politique apparaît indéniable, n’a pas été prise à la légère. Il semble tout à fait impossible que M. Zinn s’y soit résolu sans en référer au chancelier Adenauer, chef du gouvernement de l’Allemagne fédérale. On peut en déduire que c’est de façon mûrement délibérée et en toute connaissance de cause que Bonn a choisi la solution israélienne.
Les spécialistes des relations germano-israéliennes jugeront que l’instant – fin 1957 – n’a pas été choisi sans raisons bien précises. Consciente que toute mission officielle confiée à ses propres services ne comporterait que de faibles chances de réussite et peut-être aboutirait à inciter Eichmann à se mettre définitivement à l’abri, l’Allemagne d’Adenauer a voulu que ce fut l’État d’Israël qui se chargeât de le retrouver et, si possible, de le capturer. Par les confidences que m’a faites Isser Harel, nous savons désormais que l’Allemagne d’Adenauer tenait à ce que Eichmann payât véritablement ses crimes. C’est dans ce sens qu’elle a agi.
Puisque le Dr Fritz Bauer est couvert, il entre en relation avec les Israéliens – le Dr Shinar en l’occurrence – et fait connaître de quelle manière l’information est parvenue jusqu’à lui : il a reçu une lettre d’un homme qui se disait demi-juif, allemand de naissance et qui vivait en Argentine. Cet homme se déclarait sûr que Eichmann habitait à Buenos Aires et livrait une adresse bien précise : 4261, rue Chacabuco, Olivos. Il affirmait ignorer sous quel nom vivait le « Grand Exterminateur ».
Pour Isser Harel, nulle hésitation : « Cette nuit-là, je décidai que si Eichmann était vivant, il serait pris, envers et contre tout. » Il enverra donc sans tarder un agent en Argentine : Yoel Goren (102) , un « agent opérationnel chevronné ». Dès le mois de janvier 1958, Goren part pour Buenos Aires.
C’est une ville singulièrement attachante que Buenos Aires. Larges avenues bordées d’immeubles haussmanniens qui, irrésistiblement, font penser à un Paris rectifié selon les normes
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