C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
américaines. Dans les vitrines des magasins, s’impose la trace d’une élégance toute latine. Dans les rues plus étroites se dressent des palais, vestiges reconnaissables de l’hispanité originale. Ailleurs, des villas étalent leur opulence dans des parcs raffinés.
Le voyageur devra découvrir l’envers du décor : à peine s’éloigne-t-on de la ville et l’on débouche sur des terrains vagues où, çà et là, le long des voies tout juste esquissées se sont plantées des masures qui doivent tout à l’improvisation. Pour les édifier, on a usé de matériaux de tout genre, presque toujours de récupération. Des bidonvilles ? Le terme me semble trop européen. Ces faubourgs contrastés, bigarrés, si typés, on les retrouve à l’orée de toutes les grandes villes d’Amérique latine. À Mexico comme à Rio, à Santiago comme à Buenos Aires, leurs caractéristiques sont constantes : la misère s’enveloppe de soleil et, pieds nus, de beaux enfants aux dents éclatantes rient dans la poussière.
À peine arrivé, Goren a pris contact avec un certain Menashe Talmi, un Israélien qui, bénéficiant d’une bourse, se livrait à des recherches sur les colonies juives d’Argentine.
De concert, ils se sont rendus en reconnaissance dans les parages du 4261, rue Chacabuco. Le quartier est misérable, occupé surtout par des ouvriers qui partent de grand matin pour Buenos Aires et qui, après leur journée de travail, rentrent chez eux. Le n° 4261 ? Une sorte de masure sans étage, entourée d’un petit jardin et donnant sur un chemin de terre. Pour l’agent Goren, Eichmann ne peut en aucun cas habiter une telle maison. N’a-t-on pas répété sur tous les tons que les criminels nazis réfugiés en Amérique du Sud ont emporté de fabuleux trésors ? À son retour en Israël, Goren présente donc à Isser Harel un rapport négatif : « L’information que nous a passée Bauer n’est pas fondée. » Une précision : Goren et Talmi ont aperçu dans le jardin de cette masure « une femme imposante à l’allure débraillée ». Certes, cette femme pouvait être une Européenne, mais Talmi se refuse à admettre qu’un tel manque de tenue puisse être attribué à l’épouse d’Eichmann.
Faut-il renoncer ? Harel ne le pense pas. Il demande au Dr Fritz Bauer de lui faire connaître la source de son information. Jusque-là Bauer s’est refusé à la communiquer ; cette fois, il y consent. Il s’agit d’un certain Lothar Hermamt qui habite Coronel-Suares, dans la province de Buenos Aires.
Bien à propos, à l’occasion d’une affaire criminelle, un policier israélien doit partir pour l’Argentine. Harel lui confie la mission de rencontrer ce Lothar Hermann.
L’homme d’une cinquantaine d’années qui reçoit le policier est aveugle. L’envoyé d’Isser Harel se présente lui-même comme allemand et exhibe une lettre que l’on a obtenue du procureur Fritz Bauer. Lothar Hermann se la fait lire et, rassuré, raconte toute l’histoire. Dix-huit mois plus tôt, il habitait encore Buenos Aires, dans le quartier d’Olivos. Sa fille, fort jolie, avait commencé à sortir avec un jeune homme de vingt et un ou vingt-deux ans. Un détail : il se nommait Nicolas – Klaus en allemand – Eichmann. Naturellement, Nicolas ignorait que la jeune fille avait du sang juif. Aussi s’était-il exprimé avec une parfaite liberté et tenant des propos rien moins que nuancés, du genre : « il aurait mieux valu que les Allemands en aient fini avec l’extermination des Juifs ». Il racontait aussi que son père avait été officier et que, pendant la guerre, il avait accompli tout son devoir. C’est alors que lui, Lothar Hermann, avait commencé à se dire que ce Nicolas pouvait être le fils d’Adolf Eichmann, et avait écrit au procureur Fritz Bauer.
La fille de Lothar Hermann confirme : elle dit avoir rencontré le père de Nick, qu’elle décrit comme « un homme d’âge mûr, avec des lunettes », doté d’une voix « désagréable et stridente ». Elle ajoute que cet Eichmann était père de cinq enfants, dont trois nés en Allemagne et deux en Argentine (103) . Une précision encore : « Les âges des trois aînés correspondent aux informations que leur a envoyées le procureur. »
Lothar Hermann et sa fille offrent de continuer les recherches. Ce qu’ils font durant l’année 1958 sans guère de résultats concrets. Sinon ce renseignement : à la fin
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