C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
chaleur jamais atteint depuis 1872. Dans mes souvenirs, c’est cela, l’été 1947 : la canicule.
Cet été-là, pour le gouvernement français, c’est aussi, au milieu de cent problèmes inextricables, l’affaire de 4 500 Juifs qui, en route vers le midi de la France, surgissent tout à coup au premier plan de l’actualité. « Vraiment, on n’avait pas besoin de cela » : telle est la phrase que, dans les sphères gouvernementales, on va désormais entendre de toute part. Une harmonie théorique règne entre le gouvernement travailliste de Clement Atlee et le gouvernement socialiste de Paul Ramadier. L’annonce du plan Marshall a soulevé un immense espoir. Plus que jamais, il apparaît essentiel que les deux principaux États d’Europe occidentale, la Grande-Bretagne et la France – l’Allemagne n’étant plus alors qu’une expression géographique – coordonnent leur politique, en un mot se « serrent les coudes ».
Or l’affaire des immigrants juifs va, en quelques semaines, assombrir dangereusement des relations longtemps au beau fixe. Le 21 mars 1947, Duff Cooper, ambassadeur de Grande-Bretagne à Paris, a remis à Georges Bidault, ministre français des Affaires étrangères, un mémorandum plus que raide : « Au cours de ces derniers mois, l’ambassade de Sa Majesté a eu l’occasion de faire des observations réitérées au ministère français des Affaires étrangères et elle a communiqué au Foreign Office des renseignements complets concernant de nombreux navires chargés d’immigrants illégaux qui ont finalement fait route de France en Palestine. Le nombre des voyages de navires transportant des immigrants illégaux s’est récemment accru. Marseille est actuellement le centre de ce trafic. Le gouvernement de Sa Majesté invite le gouvernement français à prendre sans délai des mesures efficaces à effet immédiat pour empêcher de nouveaux départs d’immigrants illégaux des ports français. »
Il est bien vrai que, depuis des mois, l’attitude libérale du gouvernement français à l’égard des aspirants immigrants en Palestine agace prodigieusement les Britanniques. Léon Blum, en janvier, s’est prononcé sans détour en leur faveur. Au sein du gouvernement Ramadier, qui a succédé à celui de Léon Blum, les positions apparaissent moins nettes. Si le ministre de l’Intérieur, Édouard Depreux, se veut dans la ligne fixée par Léon Blum, l’attitude de son collègue des Affaires étrangères, Georges Bidault, apparaît plus nuancée. Bidault tient à privilégier – ce qui est parfaitement compréhensible – les indispensables bonnes relations franco-britanniques. Il a souhaité ouvertement que l’on interdise la sortie des ports français à des navires étrangers pouvant transporter des émigrés israélites en situation irrégulière. D’où une réaction très vive du ministre des Transports, Jules Moch. D’où une lettre pressante d’André Blumel au président Ramadier, son camarade du parti socialiste : « Ton prédécesseur, Léon Blum, avait pris, en ce qui concerne le problème du transit juif, légal du reste en ce qui concerne la France, la position suivante : nous n’avons pas à vérifier la sincérité des visas des pays d’entrée qui nous sont présentés. La position de ton gouvernement est-elle différente ? »
Le 21 avril, sous la présidence de Ramadier, une conférence interministérielle s’est réunie pour étudier les questions soulevées par la note de Duff Cooper. Le résultat : une réponse très ferme à l’ambassadeur britannique. On précise que seuls les visas collectifs feront l’objet de vérifications, « les visas individuels continuant à être soumis à la réglementation applicable à tous les étrangers ». D’autre part, on spécifie que la France « ne refoulera pas les Juifs entrés clandestinement sur son territoire ».
Jusque-là, on en est encore aux généralités. Tout va changer avec l’affaire du Président Warfield, considérée par le gouvernement de Clement Attlee comme une véritable provocation. Le ministre britannique des Affaires étrangères, Ernest Bevin, va saisir directement Georges Bidault. La situation de celui-ci devient d’autant plus difficile que, le 17 juin, il a précisément rencontré Bevin dans le but de promouvoir une conférence européenne sur les propositions d’une aide massive des États-Unis à l’Europe que vient de présenter le général
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