C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
environs de la capitale pour rétablir l’ordre. On a proclamé le couvre-feu et la loi martiale. Et Gerö reste premier secrétaire du Parti.
Le pouvoir à Imre Nagy ? Dans ces conditions, ne s’agit-il pas d’un cadeau empoisonné ?
Deux heures du matin. Toujours beaucoup de monde dans les rues de Budapest. Des gens tout à la joie de se croire libres. Soudain, au loin, un sourd grondement. La stupeur, l’angoisse, les regards qui s’écarquillent. Nul ne peut se méprendre, ce sont bien des chars. Mais quels chars ?
La réponse vient vite. Ils s’approchent, on les reconnaît. Ils sont russes.
À la Maison des écrivains, quarante poètes, romanciers, essayistes sont rassemblés. Le téléphone sonne pour annoncer l’arrivée des chars russes. Debout devant une cheminée, Laszlo Benjamin, poète célèbre – il a reçu deux fois le prix national Kossuth décerné par le Parti – se met à écrire des vers qui disent tout :
Nous avons tout perdu… tout l’avenir… tout espoir…
Qu’elle arrive, pour écraser mon cœur,
La mort montée sur autochenilles…
Au-delà des vitres, grandit le fracas des chars écrasant l’asphalte. Laszlo Benjamin abandonne son poème, passe sur le balcon avec un chauffeur de l’Union. En bas, dans la rue, les servants soviétiques d’un char l’ont aperçu. Rapidement, le canon de la tourelle se lève, se braque sur le balcon : deux courtes rafales. Benjamin et son compagnon – saufs – se glissent à l’intérieur. Les Russes tirent sur tout ce qu’ils voient, sur tout ce qui bouge. C’est donc cela, rétablir l’ordre socialiste ?
Quand la capitale s’éveillera, elle saura que les Russes sont là. On n’aura donc été libres que quelques heures ? Le peuple hongrois, accoutumé à l’infaillible omnipotence des Soviétiques, devrait baisser la tête. Il ne le fait pas. Il ne le fera pas. La tragédie de Budapest commence.
Mercredi 214 octobre. Fini, le soleil. Il pleut. Il semble que le ciel se soit mis en harmonie avec les cœurs. Les magasins restent fermés : impossible d’acheter du pain, de l’épicerie, de la viande. Pas de tramway. Personne à l’usine, personne au bureau. Les trains ne partent pas. L’électricité et le téléphone fonctionnent, mais on constate que le gaz est réduit.
La grève. La grève générale.
On écoute la radio. Des communiqués contradictoires se succèdent. On annonce que la plupart des contre-révolutionnaires ont déposé leurs armes. Le soir, on signale que l’on se bat encore.
Tout à coup, dans la nuit du 24 au 25 – surgissant comme des diables rouges de leur boîte – voici de nouveau, à Budapest, Mikoyan et Souslov. Ils sont furieux, ces inséparables. Ils prennent Gerö à partie :
— En déformant la situation, en semant la panique à Moscou, vous avez provoqué une intervention soviétique inopportune. À cause de nos chars, le parti hongrois est déjà en pleine liquéfaction. Il faut vous en aller !
Et Gerö, docilement, s’en va. Pour le remplacer, Mikoyan et Souslov choisissent Janos Kadar qui devient Premier secrétaire du parti communiste. La nomination de Nagy comme Premier ministre est confirmée.
Ce n’est qu’à ce moment que les deux envoyés du Kremlin semblent avoir mesuré leur erreur de juillet.
Jamais ils n’auraient dû remplacer Rakosi par Gerö : un cheval borgne par un cheval aveugle. Le succès de l’opération polonaise est venu du fait que Gomulka était un homme neuf, sans nulle compromission qui pût lui être reprochée. Si Moscou, pour remplacer Rakosi, avait mis aussitôt au pouvoir le tamdem Nagy-Kadar, il n’y aurait probablement pas eu d’insurrection à Budapest.
Quand ils prennent congé, Mikoyan et Souslov sont confiants. Ils pensent que Nagy et Kadar sauront séparer, chez les rebelles, le bon grain de l’ivraie. Si des contre-révolutionnaires veulent tirer profit de la situation, il faudra les éliminer. Quant aux simples égarés, il sera nécessaire de les récupérer.
Voilà reparti le duo moscovite. Convaincu que l’agitation née à Budapest n’est le fait que de groupes sans consistance. Ils se trompent. Il ne s’agit pas de petits groupes, mais de tout un peuple.
Jeudi 25 octobre. Nagy parle à Radio-Budapest. Très émus, les auditeurs constatent que son ton a beaucoup changé :
— En tant que président du Conseil des ministres, j’annonce que notre gouvernement ouvre, entre la
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