C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
a été abattu à l’intérieur de l’immeuble, c’est le mouvement irraisonné, l’impulsion irrésistible : la foule se rue vers les entrées. Au moyen de tuyaux d’arrosage, les AVH s’efforcent de la tenir à distance. On leur jette des briques récupérées sur un chantier voisin. Les policiers – escalade traditionnelle – substituent aux jets d’eau des gaz lacrymogènes.
Qui a tiré le premier ? Comme toujours, en ces sortes d’affaires, l’historien se trouve en présence de versions contradictoires. Si l’on s’en rapporte au livre blanc publié par le gouvernement Kadar, les premiers coups de feu sont partis de la foule. Des « bandits en armes », occupant les bâtiments voisins, auraient ouvert le feu en direction des studios. « C’est alors, alors seulement – après que de nombreux gardes eurent été tués ou blessés –, que les forces de sécurité reçurent l’ordre de tirer. Les assaillants, en possession de pistolets automatiques et de grenades à main, intensifièrent leur assaut. »
Cependant, le rapport de l’ONU affirme que « des agents de l’AVH sont sortis en courant par la porte principale de l’immeuble et ont commencé à tirer dans toutes les directions. Il y a eu au moins trois tués – quelques-uns disent huit – et de nombreux blessés ».
L’indiscutable, c’est que la fusillade s’est poursuivie durant une vingtaine de minutes. Les AVH tirent des fenêtres de l’immeuble. De nouvelles victimes tombent. La foule doit reculer. Certains s’élancent à travers la ville, brandissant les vêtements sanglants arrachés aux premiers cadavres. Atterrés, bouleversés, des groupes rejoignent le cortège. C’est alors que les manifestants qui se dispersaient devant le Parlement reçoivent la nouvelle du massacre. Aussitôt, ils se portent vers la Maison de la Radio.
D’autres vont les rejoindre : les jeunes gens qui viennent d’abattre la statue de Staline.
Au nord-est de la capitale s’étend le bois de Budapest ; non point à l’écart de la ville, comme à Paris le bois de Boulogne mais, ainsi que Hyde Park à Londres, englobé dans la ville. Là, sur un socle de quinze mètres, s’élève – colossale provocation de bronze – la statue de Joseph Staline. Dans la soirée, les premiers groupes d’étudiants se sont massés autour du monument. Tous mus par un désir identique : faire choir la statue.
On avait cru la chose facile. On s’est trompé. On a noué un câble autour des jambes du colosse de bronze, on l’a attaché à un camion de dix tonnes. Le chauffeur a tenté en vain de démarrer. Staline résistait. On ne s’est pas découragé, on a attaché le câble autour du cou de la statue, le camion a une nouvelle fois essayé de démarrer. Sans résultat. Le monstrueux Staline restait solidement campé sur ses jambes.
À 22 heures, les étudiants sont cinq mille. Beaucoup de jeunes ouvriers les ont rejoints. Ils enragent. Un ouvrier, surgissant sur un side-car et brandissant un appareil à souder fixé sur une bouteille d’oxygène, apporte la solution au problème. On l’acclame. De jeunes travailleurs grimpent sur la statue. La flamme de l’appareil à souder creuse rapidement une ouverture dans le métal des genoux. Le câble est toujours fixé autour du cou. Le chauffeur du camion met le contact, les étudiants et les ouvriers retiennent leur souffle. Le camion démarre, roule, le câble se tend. Cette fois, la statue vacille et tout à coup, dans un épouvantable fracas, s’effondre sur l’asphalte de la place.
Un immense cri de joie s’est levé vers le ciel. Sur le socle, il n’y a plus que les bottes de bronze et l’inscription : « Au grand Staline, le peuple hongrois reconnaissant. »
Les cinq mille étudiants et ouvriers libérés par la chute de l’idole ont presque tous rejoint la Maison de la Radio où le siège continue. Les vagues successives d’AVH ne suffisent plus à défendre les lieux ; à 22 heures, on doit envoyer en appui un détachement de soldats de l’armée régulière.
Rapport de l’ONU : « La foule a arrêté les soldats. Un vieil ouvrier a sauté sur un camion et a récité un poème célèbre : “Ne tire pas, mon fils, car moi aussi je serai dans la foule.” Les soldats ont hésité un instant, ont regardé leur officier, puis ont sauté à terre et se sont joints aux manifestants. »
Trois chars de l’armée hongroise, canon braqué, s’avancent, suscitant
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