C’était le XXe siècle T.4. De Staline à Kennedy
s’envole pour Washington solliciter un emprunt.
Le 30 septembre, le président du Conseil Bourgès-Maunoury propose une loi cadre qui prévoit que l’Algérie sera maintenue dans la République, mais dans le respect de sa personnalité. La loi est repoussée. Conséquence : exit le ministère Bourgès-Maunoury.
Le 5 novembre, Félix Gaillard constitue le nouveau gouvernement : un ministère d’union, allant des socialistes aux indépendants. Le ministre de la Défense nationale s’appelle Chaban-Delmas. De cette nomination, toute l’affaire va découler. Lucien Neuwirth me dit :
— C’est véritablement lorsque se forme le gouvernement Gaillard que l’affaire va prendre corps. Grâce à Chaban-Delmas, à travers Léon Delbecque ? les gaullistes vont s’organiser en Algérie.
Les gaullistes – mais de Gaulle ?
De plus en plus, quant à l’Algérie, le Général se montre pessimiste. À l’écrivain Jean Amrouche, d’origine kabyle, il disait déjà en 1955 :
— L’affaire algérienne est trop grande pour ce régime. L’Algérie sera émancipée. Ce sera long. Il y aura de la casse. Beaucoup de casse. Vous aurez beaucoup à souffrir. Quant à moi, je ne parlerai que le jour où je serai en mesure de faire ce que j’aurais dit.
Il pense donc à une fatalité de l’émancipation ? Avec des nuances, cependant, qu’il a l’art de doser selon ses interlocuteurs. À son gendre Alain de Boissieu, il déclare à l’automne de 1956 :
— En Algérie, c’est moi qui ai commencé à donner le droit de vote aux musulmans. Si j’avais été aux affaires, j’aurais continué dans cette voie. J’aurais accordé des facilités d’instruction et des débouchés sur le marché du travail aux Algériens. J’aurais réalisé ainsi une certaine intégration. Mais cela aurait duré trente ans, pas plus. Cela aurait permis cependant une période de transition. Aujourd’hui, il y a une insurrection, vous n’avez plus le choix, il faut gagner la bataille sur le terrain (81) .
À Louis Terrenoire, il confie :
— Nous sommes en présence d’un mouvement général dans le monde, d’une vague qui emporte tous les peuples vers l’émancipation. Il y a des imbéciles qui ne veulent pas comprendre. Ce n’est pas la peine de leur en parler. Mais il est certain, si nous voulons nous maintenir en Afrique du Nord, qu’il nous faut accomplir des choses énormes, spectaculaires, et créer les conditions d’une nouvelle association. Or ce n’est pas ce régime qui peut le faire. Moi-même je ne serais pas sûr de réussir… Mais, bien sûr, je tenterais la chose.
Au début de 1958 encore, rue de Solférino, il reçoit Jean-Raymond Tournoux. Celui-ci l’interroge sur l’Algérie :
— Mon général, au sujet de l’Algérie, beaucoup de « plans » vous sont attribués périodiquement. Chacun prétend interpréter votre pensée dans le sens qui lui est favorable, les uns pour couvrir une politique d’abandon, les autres pour préconiser une politique de reconquête en Afrique du Nord.
De Gaulle s’exclame :
— On peut bien m’attribuer tous les plans qu’on voudra. Quoi que je puisse dire, on ne le fera pas ! Inutile donc de pérorer…
Un instant il se recueille et poursuit :
— Si j’étais resté aux affaires, j’aurais arrangé, j’aurais réglé la question nord-africaine. J’avais vu le sultan. Nous étions d’accord. Je lui avais dit : « Laissez-nous voter la Constitution. Nous essaierons qu’elle s’oriente dans le sens fédéral et je ferai une politique d’entente avec vous. » Bien entendu, l’indépendance devait être à la clé. Mohammed V avait le désir sincère de maintenir des liens organiques avec la France. C’eût été d’ailleurs l’intérêt du Maroc. J’aurais agi de même avec la Tunisie… Ce qui est capital [en Algérie], voyez-vous, c’est de ne pas se laisser arracher les concessions, de ne pas brader, mais d’octroyer. En 1946, nous étions forts, considérés, et la France l’était avec nous, car l’étranger pensait que la France, c’était moi. J’aurais octroyé et on m’aurait donné (82) .
Au même Tournoux, en 1956, de Gaulle avait déjà dit :
— Vous verrez que le régime perdra aussi le Sahara. Il a perdu l’Indochine, la Tunisie, le Maroc. Il perdra l’Algérie.
Il avait achevé sur cette note digne de cet humour que lui connaissaient bien ses familiers :
— Le système perdra aussi
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